«Balkany».

A quelques pas, dans un parc de la ville, plusieurs centaines de militants de la CGT, de la FSU et de Solidaires sont venus les soutenir. Au programme de cette journée : des prises de parole de responsables syndicaux et de politiques - dont Jean-Luc Mélenchon (PG), Isabelle de Almeida (PCF) et Olivier Besancenot (NPA) -, des projections de films et des concerts. Le but : dénoncer la «répression syndicale». Tous les militants le disent, si le cas des Goodyear est emblématique, il est loin d’être isolé. Et de citer des exemples d’intimidation, de harcèlement ou de poursuites à l’encontre de syndicalistes. «Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays. Il y a deux poids, deux mesures, s’agace un cégétiste d’Air France. Quand on voit que les Balkany, les Sarko sont tranquilles, alors que des syndicalistes qui ne font que leur boulot risquent la prison…»

«Ce qu’ils ont fait, de nombreux militants l’auraient fait dans une telle situation, où l’emploi est menacé», ajoute un membre de la CGT métallurgie. C’est bien là toute la ligne que la défense, assurée par l’avocat Fiodor Rilov, va s’attacher à suivre : prouver que les prévenus n’ont fait que ce qu’ils avaient à faire.

La salle où se joue le procès-symbole est quasiment pleine. Au deuxième rang, Mélenchon n’en perd pas une miette. Si ce n’est le temps d’échanger un geste de soutien avec Mickaël Wamen, ex-secrétaire général de la CGT de l’usine et figure de proue des Goodyear, qui fait partie des prévenus. «Emu» par ce procès qui, estime-t-il, fonctionne «à l’envers», le candidat à l’élection présidentielle estime que «ceux qui devraient être au banc des accusés, ce sont ceux qui ont condamné l’entreprise à la mort sociale». Et non «ces pauvres hommes sous le coup d’une condamnation à de la prison […] pour avoir défendu leur emploi». Mickaël Wamen, 44 ans, employé de Goodyear depuis le 9 juin 1992, est appelé à la barre. Surnommé le «gourou de la CGT» par la direction, selon ses collègues, l’homme revient sur les journées des 6 et 7 janvier : «J’ai passé les pires heures de toute ma vie, je n’ai pas dormi pendant trente-six heures. Je disais : "Ça va partir en sucette." Si j’avais pu faire en sorte que cela ne se passe pas, je l’aurais fait.» L’homme hausse le ton, s’excuse : «J’ai une voix forte.» Il dit avoir tout fait pour calmer les salariés qui «pétaient un plomb, mais comment voulez-vous gérer ça ?»

Le syndicaliste n’en démord pas : il n’a rien à se reprocher. «Selon l’accusation, les huit prévenus ont participé à un événement empêchant les deux cadres de se mouvoir librement. Tout le débat est là : est-ce que, oui ou non, il y a des preuves de cela ? La réponse est non. Il n’y a rien, explique à Libération l’avocat des Goodyear. Au contraire, leur présence a permis d’éviter le drame. Et ça, personne ne le conteste, pas même la cour.» «Si nous n’avions pas été présents, et pas que ce jour-là, l’usine aurait brûlé tout un tas de fois», estime, de son côté, Mickaël Wamen.

 

«Parking».

Il reste des éléments étonnants, pointés par Fiodor Rilov, qui s’interroge sur une éventuelle «instrumentalisation» des événements. Pourquoi, par exemple, la direction a-t-elle choisi d’annoncer la fermeture de l’usine devant tous les salariés, dans une salle de réunion, au lieu de confier d’abord l’information aux représentants syndicaux ? Dans un tel cas, «j’aurais donné la réponse aux salariés sur le parking de l’usine, comme je l’ai toujours fait», pointe Wamen.

L’avocat donne la parole à l’inspectrice du travail qui, à l’époque, s’occupait de l’usine Goodyear. Elle décrit une «ambiance électrique», et une direction aux propos parfois «abrupts». Avant d’ajouter : «Il est clair que, quand une entreprise annonce la fin du travail, c’est presque l’arrêt de mort [des salariés].» «Si les responsables de Goodyear avaient voulu que ça se passe comme ça, ils ne s’y seraient pas pris autrement», tranche maître Rilov, qui plaide la relaxe pour les huit Goodyear. Mais pour le procureur, «cette séquestration a bien été programmée». Exit, cependant, la prison ferme, le parquet a réclamé, en fin de journée, 24 mois de prison avec sursis à l’encontre des huit anciens salariés. Le verdict, mis en délibéré, devrait être connu début janvier.

 

Amandine Cailhol