Récapitulons. En septembre 2015 General Electric (GE) prenait le contrôle de la division énergie d’Alstom, à l’issue d’un incroyable thriller politico-industriel dans lequel l’actuel président de la République M. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, joua un rôle de premier plan.
Alors qu’en mai 2015, GE s’était engagé à créer 1000 emplois en France d’ici la fin de 2018, il annonçait en octobre 2017 la suppression de 350 emplois dans les turbines hydroélectriques de Grenoble, puis en juin 2018 qu’il ne tiendrait pas ces engagements de création d’emplois. 48 heures à peine après les élections européennes de 2019, GE annonçait la suppression de plus d’un millier d’emplois à Belfort. Le 28 mai les syndicats dénonçaient une “bombe sociale” lors d’une réunion avec Hugh Bailey, nommé Directeur Général de GE France le 22 avril et précédemment conseiller pour les affaires ind
Après plusieurs mois de manifestations et de blocages du site de Belfort, une majorité des salariés votèrent pourtant le 21 octobre en faveur du plan social élaboré par la GE en étroite concertation avec le gouvernement. Selon Philippe Petitcolin, du syndicat CFE-CGC[1], le nombre d’emplois supprimés fut négocié directement par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire et le PDG américain de GE.
Faudrait-il dès lors considérer, comme certains s’empressent de le conclure, que cet accord apporta un épilogue satisfaisant à ce qui n’aurait finalement été qu’une histoire douloureuse mais inévitable ?
L’Affaire ALSTOM serait-elle close ?
Nous, 32 ingénieurs anciens élèves de l’Ecole Polytechnique, à qui la République française fit l’honneur d’offrir une formation scientifique et technique de bon niveau afin que nous la mettions au service de la Nation, de son industrie et de l’État, ne le pensons absolument pas.
Tout d’abord, l’accord signé le 21 octobre ne garantit aucunement la pérennité de l’activité Turbines. Elle se décline en effet en turbines à combustion (gaz, fuel, biométhane), turbines à vapeur et turbines hydrauliques. C’est une activité stratégique pour la France, tant dans la perspective de la transition énergétique à venir, que pour la maîtrise de la propulsion de ses sous-marins nucléaires ou la maintenance des 58 centrales nucléaires. Il serait irresponsable et suicidaire de la découper en rondelles et de délocaliser les turbines à gaz en Hongrie, comme la direction de GE l’a décidé en mai dernier[2]. "On ne doit pas descendre les effectifs en dessous de 1 400 salariés dans l'activité turbine à gaz", prévenait Francis Fontana, syndicaliste à SUD. Or la direction de GE ne s’engage dans l’accord qu’à maintenir pendant 12 mois cette activité à Belfort, jusqu'à l'affectation du personnel sur de nouvelles productions, et pour ensuite persister à la délocaliser en Hongrie ! La CGT, non signataire de l’accord, considéra fort logiquement ce point comme un casus belli, anticipant qu'un départ de la fabrication des turbines serait synonyme de mort programmée pour Belfort [3]. Rien n’est donc réglé.
Nous estimons qu’il faut absolument revenir sur l’origine des fautes stratégiques qui ont conduit à brader à nos concurrents américains l’un de nos principaux fleurons industriels
De façon plus générale, nous estimons qu’il faut absolument revenir sur l’origine des fautes stratégiques qui ont conduit à brader à nos concurrents américains l’un de nos principaux fleurons industriels. Alstom était en effet très loin d’être un « canard boiteux » : il détenait la bagatelle de 20% du parc mondial des turbines à vapeur, 30% du parc nucléaire mondial, et était numéro un mondial pour les centrales hydrauliques et charbon[4]! Or les mêmes causes produiront à l’avenir les mêmes effets, si aucune correction structurelle n’est apportée.
La faute la plus évidente et la plus lourde tient à la propension des actionnaires français à privilégier la finance à l’industrie, et les profits financiers à court terme aux stratégies industrielles.
Une première conséquence en fut le démantèlement des conglomérats industriels, dans une logique de rentabilité financière accrue et de lisibilité au profit des marchés financiers. Ceci a durablement affaibli notre tissu industriel, les "Pure Players" issus de ces découpes ainsi que l’écosystème de leurs sous-traitants étant plus exposés aux cycles conjoncturels et aux prises de contrôle, là où les conglomérats pouvaient les en protéger par leur taille et en « lissant » les bas et les hauts de cycles.
Jusqu’en 1998 les activités Energie et Ferroviaire d’Alstom faisaient en effet partie du plus puissant conglomérat industriel français, la CGE, alias Alcatel-Alsthom. La CGE était un leader mondial dans les Télécoms, les câbles, l'ingénierie électrique, l'énergie, le ferroviaire, le nucléaire, les chantiers navals. Son PDG Serge Tchuruk décida de démanteler le groupe, de recentrer Alcatel sur les télécoms, et de vendre en bourse la majorité du capital d’Alstom en ponctionnant au passage un dividende exceptionnel de 5 milliards d’euros. Financièrement exsangue, Alstom était en faillite en 2003. L’État sauva alors Alstom en entrant à son capital, puis revendit dès 2006 sa participation au groupe Bouygues, laissant Alstom isolé et fragilisé face à concurrence de GE et Siemens.
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