La cour d’assises spéciale de Paris, qui ne comprend que les magistrats professionnels, a donc rendu son verdict dans le procès d’Abdelkader Merah. Des deux chefs d’accusation qui pesaient sur lui, complicité d’assassinat et association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste, seul le second a été retenu et la peine maximale possible lui a été infligée. Il a donc été acquitté de la complicité dans les abominations commises par son frère. Pour des raisons tellement compréhensibles, compte tenu de l’infamie absolue des crimes commis, du caractère repoussant de cette famille Merah, et du terrible déroulement de l’audience, cette décision a été accueillie par une énorme clameur de rage. Si l’on peut comprendre et surtout partager l’émotion, les sentiments et la passion, il est cependant nécessaire de se reprendre.
La justice a ses objectifs propres.
Pour qui comme moi est attaché aux libertés civiles, le mois qui vient s’écouler a été particulièrement éprouvant. Il y a eu le dossier de Pontoise, le déchaînement d’une guerre des sexes avec les affaires Cantat et Weinstein et ses conséquences, les accusations contre Tariq Ramadan sur fond de guerre de religion, l’antisémitisme musulman débridé, la promulgation de la loi qui pérennise l’état d’urgence dans le droit commun, avec en parallèle le déroulement du procès Merah, et son verdict en point d’orgue. Le point commun de tous ces sujets qui enflamment l’opinion, et qui sont pourtant autant de questions politiques, c’est que l’on demande à la Justice de les traiter en poursuivant des objectifs qui ne sont pas les siens. Il faut marteler encore et encore que la Justice d’un pays civilisé, n’est pas là pour organiser des catharsis, « reconnaître » comme victime, permettre de faire le deuil, ou de se reconstruire. Elle n’est pas là non plus pour mener une guerre contre une religion ou une idéologie, pour réprimer la liberté de penser en fouillant dans les crânes, et accompagner l’opinion publique dans ses emportements. La justice pénale exerce au nom de l’État la violence légitime contre les individus qui ont transgressé gravement la règle commune. Pour ce faire et afin que ses décisions soient légitimes et acceptées par le corps social, la Justice doit agir en appliquant rigoureusement des règles et des principes qui protègent à la fois les individus, en particulier les innocents, et aussi la société. Depuis un mois, la présomption d’innocence qui est une liberté protégée et pas seulement une incantation, a été simplement déchiquetée tous les jours, dans une ambiance de guerre civile irrespirable. Et maintenant l’application scrupuleuse de ces règles à l’occasion du procès Abdelkader Merah est considérée comme une infamie. Des principes et des règles « d’un autre temps » ?
Éric Dupond-Moretti est un confrère de talent même si par tempérament, et peut-être prisonnier de l’image médiatique qu’il a contribuée à forger, il utilise toujours le même registre, celui du taureau dans l’arène. Dans un dossier comme celui-là, l’objectif, c’est-à-dire l’acquittement possible qu’il était de son devoir de plaider, aurait peut-être mérité un autre traitement, pour la même efficacité. C’est son problème, mais en aucun cas cela ne justifie les injures, quolibets et menaces dont il a été l’objet. Massivement au travers de sa personne a été contesté le principe même qu’Abdelkader Merah soit défendu. « Avocat complice ! » a hurlé la clameur ! Quelle régression !
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