Préparée de longue date, mais formellement décidée par les Vingt-huit le 17 novembre 2014, la « mission de conseil de l’UE » en matière de sécurité (EUAM Ukraine, selon l’acronyme anglais) sera lancée le 1er décembre. Elle vise à épauler les autorités de Kiev en matière de « sécurité intérieure ». Officiellement, il s’agit de réorganiser et former les forces de l’ordre : police, garde nationale, garde-frontières. Un rôle complémentaire, en quelque sorte, de celui que jouent les conseillers militaires américains qui appuient les forces armées du pays.
Une centaine d’« experts » européens vont s’établir sur place, pour deux ans. A Bruxelles, on confie que la mission pourrait en réalité durer bien plus longtemps. Dans un Etat en guerre, dont le gouvernement promet de reconquérir manu militari le Donbass, voire la Crimée, et où la traque des partisans de l’ancien régime par les milices fascisantes fait souvent régner un climat de peur, une telle mission constitue un clair soutien au régime en place à Kiev. Celui-ci ne manquera pas de se sentir ainsi encouragé dans son attitude agressive baptisée « lutte contre le terrorisme » – ce qui n’est pas fait pour apaiser les tensions.
Il se trouve que le lancement de l’EUAM tombe à un bien mauvais moment pour l’UE : cette dernière prétend contribuer à la mise en place d’un « Etat de droit » en Ukraine. Or un scandale vient d’éclater concernant la mission dite EULEX, qui assure… la mise en place de l’Etat de droit au Kosovo (EULEX a été lancée en 2008, suite à la déclaration unilatérale d’indépendance de cette ex-province serbe, appuyée par les Occidentaux).
EULEX est éclaboussée par des révélations mettant en cause plusieurs de ses hauts responsables. Un magistrat aurait empoché 350 000 euros en échange de la libération d’un suspect ; le procureur général envoyé par l’UE aurait également reçu de l’argent pour étouffer des affaires des crimes de guerre concernant des chefs de l’UCK (l’ex-armée rebelle aujourd’hui au pouvoir) ; et lorsqu’une magistrate britannique de la mission a tenté d’alerter sa hiérarchie, c’est elle qui a été suspendue, et menacée.
L’affaire, d’abord révélée par la presse kosovare, fait d’autant plus de bruit qu’elle était connue depuis un an à Bruxelles, où l’on affirme qu’une investigation interne est en cours. Or, aujourd’hui encore, les informations sont concédées au compte-goutte. Du coup, pas moins de quatre nouvelles enquêtes viennent d’être lancées parallèlement par différentes instances de l’Union européenne…
Pour sa part, Le Monde notait récemment (16/11/14) : « pour une grande partie de la population, les mœurs politiques qu’EULEX était censée combattre ont contaminé la mission. Sa proximité avec le pouvoir du premier ministre Hashim Thaci (lui-même soupçonné de crimes de guerre, NdlR), en poste depuis l'indépendance, est connue ». De fait, depuis des années, aucun « gros poisson » n’a été inquiété.
En d’autres termes, il ne s’agit pas de dérives individuelles, mais d’une marque de fabrique politique présente dès l’origine.
On notera que la proximité de l’UE avec les gouvernants de Kiev n’est pas moindre qu’avec leurs pairs kosovars. Tous les espoirs sont permis pour les Ukrainiens.