En laissant prise à l'assimilation de l'antisionisme à l'antisémitisme, l'humoriste Dieudonné dessert la cause qu'il a longtemps prétendu défendre. Cet amalgame ne peut que réjouir l'UMP et le PS, objectivement unis par une tactique commune à la fois naïve et suicidaire dans la préparation des prochaines élections municipales et européennes.
« L'affaire Dieudonné » : à qui profite le crime ?
Dieudonné salit la cause palestinienne.
Et voilà que Manuel Valls, dont on ne peut pas dire que le combat anti-raciste soit la qualité principale, nous fait le coup de l'indignation humaniste à propos de l'antisémitisme de Dieudonné. Nous ne le lui reprocherons pas : les obscénités de l'humoriste sont inexcusables. Naguère, l'ethnologue Claude Lévi-Strauss avait déclaré lors d'un entretien avec le journaliste de France-Culture Georges Charbonnier que « le barbare, c'est celui qui croit à la barbarie ». Un être humain qui déplore (« dommage » dit Dieudonné...) l'absence de chambre à gaz à propos d'un journaliste juif incarne littéralement la barbarie. C'est une faute que nous ne saurions pardonner car Dieudonné salit du même coup deux causes que nous tenons pour justes : l'antisionisme et, corrélativement, la cause palestinienne. Après cela, que reste-t-il de la fin des Réflexions sur la question juive, lorsque Sartre concluait en substance que tant qu'un juif dans le monde craindra pour sa vie parce qu'il est juif, nous ne serons pas libres ? Dieudonné est en train de faire le jeu immoral de ceux qui identifient antisémitisme et antisionisme. Et c'est peut-être bien une première raison pour laquelle il lui est fait tant d'écho.
Un jeu dangereux
Une seconde raison est que, faire de Dieudonné une victime en interdisant ses spectacles, pourrait contribuer à la montée électorale du Front national. En effet, celui-ci n'est plus avare de déclarations condamnant l'antisémitisme et la colonisation dans les territoires occupés. Que cette tactique soit ou non sincère n'est pas ici le sujet. En revanche, la promotion des idées du FN est un jeu dangereux. Les politiciens qui s'y adonnent ont la naïveté de croire que rien n'a changé depuis le temps où Pierre Bérégovoy croyait que la montée du FN rendrait la droite « inéligible ». Les socialistes et leurs alliés feraient bien de se demander si, lors des prochains scrutins, les électeurs voudront « barrer la route au FN » en reportant leurs voix sur le PS, qui fait bon an mal an la promotion du parti lepéniste depuis 1984. Quant aux électeurs de droite, pourquoi diable barreraient-ils la route au FN au profit de l'UMP qui s'exténue à tenter de lui ressembler ?
Stigmatiser l’euroscepticisme, c’est mépriser les peuples
Ni le PS ni l'UMP ni le centre n'ont compris que l'exaspération des électeurs a atteint un degré où le pire est possible, et qu'en conséquence, les insultes de préau d'école ne trompent plus grand'monde. C'est ainsi de l'expression « National populisme » censée stigmatiser la puissante montée de l'euroscepticisme non seulement en France mais aussi dans le reste de l'Europe. Les politiciens minuscules qui l'utilisent, comme récemment Jean-Christophe Cambadélis, risquent de s'en apercevoir à leur dépens, mais il sera vraisemblablement trop tard pour réparer les dégâts causés par leur sale besogne.
Pascal Acot