Le résultat d’un long mouvement de précarisation de l’emploi
Depuis des années, Engie souhaite amoindrir les droits sociaux du personnel. En 2014, Engie (qui s’appelait encore GDF Suez) envisage de fusionner les équipes en charge de la commercialisation d’énergie au sein Cofely, filiale hors du statut du personnel des industries électriques et gazières. Bref, il s’agissait de tout simplement de faire du dumping social : Payer moins, accorder moins de droits, moins de protection sociale, pour faire le même travail qu’avant. Plusieurs députés interpellent le gouvernement à ce sujet.
Dès 2015, affirment les syndicats, Engie expérimente l’externalisation au Portugal, au Maroc, et à l’Ile Maurice. Pays « à bas coûts » comme on dit : Le libre-échange ne profite qu’àceux qui ont des biens et services à mettre en concurrence, ici il s’agit des salariés.
Simultanément, les représentants du personnel découvrent qu’Engie ne renouvelle plus les postes devenus vacants dans son service clients à destination des particuliers. Et ce, en l’absence de réorganisation annoncée ou de suppression de postes présentées aux instances représentatives du personnel (Comités d’établissement, Comité Central d’Entreprise). La FNME-CGT décide d’attaquer la société Engie au Tribunal de Grande Instance de Nanterre. Par une ordonnance du 28 juin 2016, le tribunal condamne l’entreprise à la publication de l’intégralité des emplois vacants, estimés à 350.
Finalement, Engie annonce la délocalisation au Cameroun et le Sénégal. Il y a cinq ans, les uns et les autres, et peut être moi avec eux, auraient dit « tu exagères », « on en est pas là ». Cette situation démontre une fois encore que la déconstruction des droits sociaux est un exercice long et méthodique, mais que le temps et la méthode, eux, ils l'ont.
D'ici la fin de l'année, 50% des activités de service client auront été délocalisées, et plus de 1000 emplois supprimés en France.
Responsabilité Sociale d’Entreprise ?
Pourquoi le Portugal, le Maroc et l’Ile Maurice ? Et pourquoi se réorienter aujourd’hui vers le Cameroun et le Sénégal ? Comme écrit plus haut, il s’agit de payer moins, mais le cynisme de l’entreprise va jusqu'à choisir le Sénégal et le Cameroun car les trois premiers pays seraient plus coûteux. Jusqu’où iront ces dirigeants : Peut-être sont-ils toujours à la recherche d’un pays où les gens travaillent gratuitement. Ils parleront de « réinterroger les process » et d’ « amélioration continue » pour définir leur tâche ingrate.
D’autres secteurs d’activité ont vécu le même mouvement la décennie précédente. Notamment les opérateurs de télécommunication : SFR, Orange, Free, tout le monde y est passé. Cela faisait déjà beaucoup de bruit - mais étrangement moins qu’Engie - car la qualité du service client se dégradait ou alors, pour certains hélas, par certains relents xénophobes. Non pas que les travailleurs d'autres pays aient moins de capacités, mais tout simplement car la qualité de la formation en entreprise, et la productivité qui leur est demandée ne permet pas, concrètement, d’assurer son travail de manière correcte.
Je suis allé à la recherche des offres d’emplois du sous-traitant d’Engie. Je n’en ai trouvé qu’une, au Portugal, chez Arvato, bien connu pour ses exploits partout dans le monde. L’annonce est rédigée en français sur un site d’offres d’emploi portugais. La mission des conseillers : « L’accueil du client et aussi la responsabilité d’accompagner, de répondre et de clarifier toutes ces demandes par mail et téléphone ». C’est bien les emplois des salariés français.
La vraie hypocrisie de cette annonce se situe ici : Dans la rubrique « 5 raisons pour rejoindre notre entreprise », Arvato écrit : « Commencer une carrière internationale ». Dans le profil recherché « Maitrise verbale et écrite en français (natif) ». Nous y sommes. Non contents de supprimer des emplois en France, on découvre qu’Engie ne recherche pas vraiment des portugais pour travailler, elle recherche surtout des salariés issus de pays francophones qui veulent bien s’expatrier pour travailler et vivre aux conditions sociales du Portugal. Peut être des étudiants, peut être pas, en tous cas des gens dont on pourra flexibiliser les horaires, la couverture sociale et les salaires.
Le mot « dumping social » tellement redit et rabâché peut avoir perdu de son sens. Il renferme pourtant bien une réalité cruelle : Il s’agit d’une manœuvre visant à contourner ou dégrader les droits sociaux en vigueur pour en tirer un avantage économique. Le progrès social n’a pas sa place, il va contre les intérêts du pouvoir de l’argent.
Construire les solidarités interprofessionnelles et citoyennes
Dire que cette situation est exceptionnelle, malheureusement, serait faux. Cela arrive très régulièrement, et les cas dans l’industrie sont souvent médiatisés. Une situation dans le tertiaire avait pourtant fait couler beaucoup d’encre, lorsque les salariés de SFR Service Clients avaient été purement et simplement été vendus à Infomobile, filiale de téléperformance, chargée de réduire les droits et gérer un éventuel plan social.
Il y a quelques années, j’avais fait un entretien d’embauche en région lyonnaise dans ce qui était encore Gaz de France et où les services allaient se séparer de manière imminente. A une question sur les relations EDF-GDF que j'avais posée, le recruteur avait répondu au simple curieux que j’étais encore : « EDF et Gaz de France se sont lancés dans une guerre fratricide dont tout le monde sortira perdant ». Il ne croyait pas si bien dire. Je ne suis même pas sûr qu’il aurait imaginé un jour que l’on en arriverait à délocaliser son métier et ses équipes au Cameroun ou au Sénégal.
Engie est en charge d’une mission de service public, celle de gérer la fourniture de gaz naturel aux usagers au tarif règlementé. Elle se doit d’accueillir tous les publics et gérer les situations de précarité. Pourtant, l’entreprise semble avoir abandonné ses missions. Après avoir décidé de ne maintenir aucun accueil physique lors de l’ouverture totale à la concurrence en 2007, Engie semble avoir décidé de supprimer ses fonctions commerciales en France.
A EDF, dont je suis salarié, nous n’avons rien vu venir chez nos collègues d’Engie, que nous ne croisons plus, à qui nous ne parlons plus, étant donné que nous n’avons plus de locaux communs et que nous n’avons de toute façon plus le droit d’y accéder. Il aura été rabâché à tous que Engie est le concurrent d’EDF et inversement et que, finalement, notre destin n’est plus commun. Notre destin de travailleurs, et de salariés de l’énergie est pour autant notre bien commun. Mais faire intégrer leur concurrence semble la seule priorité du management d’EDF et Engie ces dix dernières années. Difficile dans ce contexte de créer les solidarités et les luttes nécessaires.
Côté citoyens et politique, c’est le silence radio. Aucune intervention sinon celle, par coïncidence, même si elle n’est pas liée directement à cette problématique, de François Ruffin et la dame à qui on a coupé l’électricité. Peu d’intervention politique aussi quand EDF annonce la suppression de milliers d’emplois dans ses fonctions commerciales. Et pas davantage quand EDF ferme l’intégralité de ses boutiques en France.
L’entreprise Engie, issue de la nationalisation de l’électricité et du gaz en 1946, a l’Etat comme 1er actionnaire. Et celui-ci, il faut bien le dire, se contente d’un silence complice. Qu’il s’agisse donc du service public ou plus prosaïquement de préserver des emplois – pour lutter contre le chômage- le gouvernement n’en a rien à faire.
Le 26 septembre 2017, les salariés d’Engie seront en grève. Interrogeons-nous, salariés de l’énergie, citoyens, partis politiques sur ce qu’il y a à construire, ce qu’il y a défendre, pour que cette histoire, déjà trop souvent relue, ne se reproduise plus et que les emplois des salariés d'Engie soient sauvés.