A PROPOS D’UNE OPÉRATION NAUSÉABONDE DU MONDE
Guy-Virgile MARTIN
L’exiguïté de notre journal ne nous donne pas toute la latitude nécessaire pour développer nos arguments. Le Site permet de pallier cet inconvénient. Nous jugeons nécessaire de revenir sur la dernière opération anticommuniste qui a fait l’objet de la page 3 du Monde sous le titre provocateur « Quand le PCF négocie avec les nazis ».
Les articles pleine page évoquent des démarches effectuées auprès de l’ambassadeur du Reich, Otto Abetz, qui visaient à obtenir la sortie de clandestinité de l’Huma et la réinstallation des élus communistes. Disons le d’emblée, cette initiative est injustifiable. Mais cette feuille ne doit pas cacher l’arbre ni l’arbre la forêt, c’est à dire la part déterminante du PCF en tant qu’organisation et des communistes en tant que citoyens à la Libération de notre pays dès 1940.
A propos des sources de l’article :
« L’affaire » était connue, un ouvrage de MM. Pennetier et Besse revient à la charge. Nous ne dénions pas aux auteurs la qualification d’historiens. Mais Claude Pennetier est de longue date et de longue expérience, un gauchiste anticommuniste (si l’on ose risquer ce pléonasme), assez habile pour planter sans relâche ses banderilles dans le garrot du PCF tout en couvrant son objectif principal d’hommages aux communistes. Pour parler crûment, les communistes ne sont pas mal mais leur parti est une ordure. Or un historien n’est pas un pur esprit, il y a des historiens « jacobins » Mathiez, réactionnaires Bainville, communistes Soboul etc. Leurs convictions, leur idéologie irriguent leurs travaux. Certes la liberté des auteurs de quelque œuvre que ce soit et celle de la presse doivent être respectées mais aussi soumises à la critique Dans son fond comme dans ses objectifs.
A propos de la situation en juin 40.
Qui ne l’a vécue ne peut la concevoir ; la France tout entière était à la dérive, sans repères, dans un cauchemar annihilant et comme sans passé ni futur. Des centaines de milliers de fuyards erraient sur les routes. Les partis, unanimes, les députés communistes absents pour cause de déchéance, avaient confié la France en toute légalité républicaine au pire ennemi de la République, Pétain. Dans le climat de fin du monde, le vieux réactionnaire apparut au plus grand nombre comme un recours.
Le PCF était hors la loi depuis le 26 août 1939 et ses élus démis de leur mandat, les communistes mobilisés étaient dans la nature ou parqués avec les autres prisonniers de guerre. Plus de structures, plus de cadres à tous les niveaux, du Comité central à la cellule. Or on sait depuis Lénine la nécessité d’une véritable organisation. Tout débat, tout échange était quasi impossible. La transmission des consignes, des directives même était aléatoire. Le communiste était devenu un homme seul.
Paradoxalement l’occupant « mettait des gants » ( il était correct disait-on) et ce fut vrai au début. Il lui fallait que les mines de la France, ses usines, ses ouvriers si qualifiés se remissent le plus vite possible au travail pour contribuer à l’effort de guerre de l’Allemagne. Donc la manière douce était conseillée aux troupes occupantes, sourires et galanterie.
Le terrain n’était pas prêt pour songer à organiser la Résistance sur le territoire national. L’appel du 18 juin 40 de de Gaulle est une injonction, non à résister sur place mais à rejoindre la Grande Bretagne, pour y poursuivre la guerre. Celui de Thorez et de Duclos du 10 juillet ne parle pas explicitement de résistance. Notons que Pennetier et Besse l’éliminent en le taxant bien commodément de faux. Or s’il avait été rédigé ultérieurement (après l’invasion de l’URSS), il aurait fait une grande place à la présence de l’occupant, il aurait rappelé avec force ce qu’est l’hitlérisme, les luttes antifascistes du Parti et de notre peuple, ce que sont les objectifs de l’impérialisme nazi… Rien de cela. Le texte est daté par sa formulation même et ses lacunes. Nous y voyons une preuve d’authenticité.
A propos de l’analyse de la guerre de 1940 par le PCF.
Pour le PCF il s’agit d’une guerre entre impérialismes. C’est aussi la thèse du Komintern qui, au prix d’une analyse réductrice, légitime ainsi plus facilement le pacte germano-soviétique car il passe parfois assez mal du fait des batailles antifascistes menées par notre peuple avec l’impulsion déterminante des communistes. Cette appréciation incomplète est donc porteuse de stratégies et de tactiques préjudiciables mais elle n’est pas pour autant erronée. La guerre est effectivement impérialiste. Mais elle n’est pas que cela. Qu’en était-il de la situation internationale dans l’entre deux guerres ? Deux contradictions sont en présence. La contradiction principale, celle du capitalisme et du socialisme, et celle, seconde, de l’impérialisme allemand et de l’impérialisme anglo-français, elle sous-tend dès 1918 l’humiliant traité de Versailles qui fera le lit de l’hitlérisme, Mais la contradiction capitalisme-socialisme fonde jusqu’en 1939 l’essentiel de la politique étrangère des démocraties occidentales, elle explique Munich. L’Allemagne nazie dispose de nombreux amis dans les sphères dirigeantes gouvernementales, politiques, patronales de l’occident ; les Etats-Unis maintiendront des relations commerciales avec l’Allemagne jusqu’à leur entrée en guerre en décembre 1941. Les « démocraties occidentales » tenteront même de diriger le III ème Reich contre l’URSS, tactique à laquelle fera échec le pacte de « non agression germano-soviétique ». En France où la lutte de classe est particulièrement intense, la répression frappe durement les communistes, ce qui accrédite leur thèse. Le décret du ministre socialiste Sérol punit de mort (mars 40) tout Français suspect de propagande communiste. Jean Catelas mis en cause dans « l’affaire » par Le Monde sera guillotiné (en 1941) sur un verdict de tribunal français et non tué par les Allemands comme il le dit.
Mais si le nazisme est bien un des visages du capitalisme, un impérialisme et un concurrent des trusts occidentaux, il est aussi le fascisme conquérant qui asservit les nations, brise les organisations ouvrières (ce qui ne manque pas d’intérêt pour la grande bourgeoisie), bannit toute liberté et contre lequel le PCF n’a cessé de se dresser. Cet aspect deviendra déterminant en donnant au conflit impérialiste l’aspect majeur d’une guerre de libération des peuples. Une guerre juste. Dès 1938, après Munich, Maurice Thorez déclare (CC du 21 nov.) Défendre la France contre Hitler comporte en ce moment une signification très précise pour la classe ouvrière ; c’est défendre avec les conquêtes sociales de notre peuple la possibilité de leur élargissement, de leur épanouissement ultérieur. Risquant l’amalgame avec l’union sacrée, Il appelle justement et avec audace à réaliser le Front des Français contre Hitler. Ce que réalisera la Résistance. Jamais le PCF ne se départira de cette prise de position. On pourrait citer mille témoignages. Quant à la contradiction de classes entre l’Etat soviétique et les « démocraties bourgeoises, elle n’a jamais été entièrement évacuée par les Occidentaux elle se manifeste avec éclat, dès la victoire avec la Guerre froide qu’ils déclenchent.
A propos de la démarche incriminée.
On ne peut l’apprécier hors du contexte, un historien n’est pas un juge divin qui du haut de son Olympe prononce un verdict cinglant un demi-siècle plus tard, alors qu’à l’inverse des protagonistes il connaît parfaitement la situation et sait la suite des événements. Au regard de nos certitudes actuelles mais même en se plaçant dans les conditions de l’époque, la démarche en cause n’est pas défendable, répétons-le, Il ne s’agit donc pas de la justifier mais de comprendre. Elle est le fruit de l’analyse imparfaite de la situation, analyse complexe et que le chaos de la défaite totale ne permet guère d’éclaircir sur le champ et dans l’instant. Cette défaite si miraculeuse pour ceux qui préféraient Hitler au Front populaire fut sans doute en partie au moins suscitée. Le PCF en avait la conviction et il le clamait. Certains, il est vrai furent immédiatement lucides, Leur mérite est exceptionnel. L’erreur des initiateurs de la sollicitation auprès d’Abetz fut aussi de se couvrir du pacte germano-soviétique pour se faire tolérer par l’occupant. Démarche naïve et fausse. L’Internationale communiste (IC) l’a évoquée et son représentant (Eugen Fried, alias Clément l’a sans doute encouragée) mais, pour ce qui est de l’IC, avec des nuances d’importance : « Utilisez la moindre possibilité favorable pour faire sortir journaux syndicaux, locaux, éventuellement l’Humanité en veillant à ce que ces journaux ne donnent aucune impression de solidarité avec les envahisseurs ou leur approbation » (télégramme clandestin du 22 juin). Les termes soulignés le sont par moi , G.-V.M. On ne saurait dire que la démarche en question s’inscrive rigoureusement et en tous points dans cette « directive », quoi qu’on pense de celle-ci, si pleine de réserve. Mais en fin de compte aucun élu n’a été rétabli avec l’adoubement de l’occupant, la presse communiste est restée clandestine et l’opération sans autre résultat que la compromission des émissaires, aura duré moins d’un mois. Le 20 juillet Thorez et Dimitrov y mettent fin : « Considérons juste ligne générale, Indispensable redoubler vigilance contre manœuvre des occupants. Etait juste entreprendre démarches pour obtenir presse légale mais entrevue Abetz est une faute car danger pour Parti et militants ». L’avocat initiateur des rencontres avec Abetz, l’avocat Foissin est désavoué, considéré comme un agent double et exclu du Parti le 31 août 1940.
A propos des premières formes de Résistance
Il n’y eut pas en 1940 de Résistance au sens que ce mot prit dès 1941 mais des actes isolés ou même collectifs, des réactions comme la grève des mineurs et la manifestation des étudiants sans lendemains immédiats mais porteuses d’espoir. En outre des communistes exprimèrent leur désaccord avec la démarche initiée par Foissin. Jamais la collaboration ne fut à l’ordre du jour du PCF ni de quelque communiste que ce soit même pour les démarcheurs en cause. Les notes retrouvées mais dont on ne connaît ni l’auteur ni les circonstances et dont on ne peut être assuré de la totale authenticité car Abetz vise de son propre aveu à mener la désunion intérieure précisent : nous ne ferons rien pour vous mais rien contre vous. Cette phrase en fait exclut la collaboration.
A propos de la déclaration du PCF ( L’Humanité du 12 décembre)
Elle condamne la démarche. Soit, nous aussi. Elle salue les résistants communistes. On ne saurait faire moins. Mais pas l’amorce d’une analyse. En somme pour les dirigeants du PCF les acteurs de la démarche étaient des « mauvais », des « méchants ». Pourquoi ? C’était sans doute leur nature. Et nous voilà dans les eaux troubles du judéo-christianisme. C’est un peu court. Et quelle pauvreté de pensée ! Depuis le magistère de Hue suivi de celui de M.G. Buffet, le PCF lacrymalise, pontifie, moralise, fait repentance, mais se garde de toute analyse de classe. de toute analyse historique, Il n’a d’autre souci que de cultiver sa bonne fausse conscience et de se rendre respectable auprès des bobos et du PS. Une démagogie tempérée. Un consensus mou. L’Armée du Salut. Pour cela point besoin de pensée, les reniements et l’eau de boudin suffisent.