La gare de triage de Sotteville-lès-Rouen abrite depuis près de dix ans des centaines de locomotives à l’arrêt, dont la majeure partie ne circulera plus jamais. La SNCF annonce pour fin 2019 la mise en service d’un site dédié à la dépollution et la déconstruction de ces machines.
Boris MASLARD Thomas DUBOIS - Paris-Normandie
Avec le temps, elles ont appris à faire partie du paysage. Les milliers d’automobilistes empruntant chaque jour le long boulevard industriel, entre Rouen et Saint-Étienne-du-Rouvray, font-ils encore attention à leur présence ? Près de 400 locomotives les observent, elles, immobiles sur ces rails où la plupart ont achevé leur vie. Une situation unique en France. À condition de prendre le temps de s’arrêter, la vue de ces alignements mécaniques reste toujours aussi sidérante, sur ce qui fut autrefois, à Sotteville-lès-Rouen, la gare de triage la plus importante d’Europe. Et même « l’une des plus modernes », rappelle Pierre Louvard, ancien cheminot et militant écologiste. « C’était un outil très performant quand il était en activité », assure-t-il.
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« Ce n’était pas censé devenir un cimetière »
« Les pouvoirs publics et la SNCF ont donné la priorité à l’acheminement de trains complets, liés à l’industrie lourde, au détriment de la politique du wagon isolé », rendant de fait l’activité de triage inutile, rappelle pour sa part l’Eurois Gilles Fraudin, lui aussi ancien cheminot (mais pas à Sotteville), membre de France Nature Environnement et de la Fnaut (Fédération nationale des associations des usagers de transport). Parallèlement, la multiplication sur les rails des rames automotrices a, dans les mêmes années, condamné bon nombre de locomotives plus anciennes.
Ces deux facteurs ont ainsi « brusquement, en quelques années », accéléré l’effondrement du fret et l’accumulation des machines à Sotteville, selon Gilles Fraudin. Y compris des engins toujours en état de rouler. « À l’origine, ce n’était pas censé devenir un cimetière », soupire le militant. Sylvain Brière confirme. « Je me souviens, en 2012, on nous disait que ce stockage serait temporaire », assure l’ancien conducteur de trains. Si la gare de triage accueillait bien des locos définitivement obsolètes, « les engins moteurs encore aptes à circuler recevaient l’appellation « Garé bon état »».
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« Nous étions intervenus en instance pour réclamer la mise en place d’un gardiennage, déplore Grégory Laloyer. Aujourd’hui, les collègues voient ces machines envahies par les ronces, alors que certaines d’entre elles ont été prises en charge par les ateliers de Quatre-Mares, ont exigé des milliers d’heures de travail, de grosses compétences techniques et technologiques. Les voir pourrir en l’espace de quatre ans, c’est dur psychologiquement. »
Et que dire des opérations de démantèlement menées aujourd’hui dans ces mêmes ateliers de Quatre-Mares ? « Le drame des cheminots, tempête Sylvain Brière. Démolir ce qu’ils ont construit ! » Et le responsable du Comité de défense du triage de Sotteville de pointer en plus « le gâchis pour les finances publiques : ces locos, c’est vous qui les avez payées ! ».
« Obligatoirement un gouffre »
Personne n’est en mesure d’avancer le moindre chiffre sur le coût qu’elles représentent, « mais c’est obligatoirement un gouffre », estime Sylvain Brière. Sans parler du « gâchis » environnemental : pour le défenseur du triage de Sotteville, l’outil a plus que jamais sa place au cœur des politiques publiques et des enjeux écologiques actuels. Notamment à Rouen où, entre autres, « l’ensemble des silos du port peut être desservi par le train ».
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