Le 6 juillet, Valls a donc fait passer sa réforme El Khomri en force – pour la deuxième fois – à l’Assemblée nationale. Des dirigeants «de gauche» (du PCF, des frondeurs du Parti socialiste et d’autres encore) ont alors dénoncé le recours à l’article 49-3. Ce en quoi ils ont raison. Car cet article de la Constitution de 1958 donne au président de la République le pouvoir d’écarter tout amendement, tout débat et même tout vote pour déclarer une loi adoptée !
Pour autant, le caractère antidémocratique de la Ve République ne se limite pas au 49-3.
Lorsqu’il s’empara du pouvoir, de Gaulle définit clairement l’objectif de sa Ve République : liquider la démocratie politique. Il s’agissait, en particulier, d’en finir avec le «régime des partis» et d’intégrer à l’État des syndicats sommés de renoncer à défendre les intérêts particuliers des travailleurs au nom d’un prétendu «intérêt général» (façade derrière laquelle se cache les intérêts très particuliers de la classe capitaliste).
Mais, de 1958 à aujourd’hui, les tentatives de mettre effectivement en place ce système corporatiste se sont toutes heurtées à la résistance des travailleurs et de leurs organisations.
Ce qui donne à ce régime son caractère bonapartiste et corporatiste, certes, mais inachevé.
L’intense lutte de classe qui a marqué ce pays depuis des mois a vu de nouvelles tentatives d’associer le mouvement ouvrier au dialogue social, à la concertation, aux tables rondes. Mais poussées par les travailleurs, les militants et les délégués, les deux confédérations issues de la vieille CGT(1) sont restées, bon an, mal an, sur le terrain du «ni amendable ni négociable, retrait!».
Le 8 juillet, la loi étant adoptée, elles en appellent à son abrogation.
Ce refus de l’intégration est d’une grande importance.
Il reste que la loi a été adoptée. Ce qui pose tous les problèmes surgis de la tactique mise en œuvre : celle des journées d’action saute-moutons opposées de fait à l’appel au blocage du pays, à la grève reconductible jusqu’au retrait (voire, demain : jusqu’à l’abrogation).
Cette discussion se relie à une autre : comment comprendre que les dirigeants des organisations qui rejettent et combattent la loi El Khomri publient des circulaires se désolant du résultat du Brexit en Grande-Bretagne, l’une d’elles martelant que «c’est au sein de l’Union européenne que nous avons besoin d’être » et demandant à «l’Union européenne (d’)urgemment mettre en œuvre un programme ambitieux contre le dumping social »(2)?
Comme si l’Union européenne n’était pas faite pour imposer le «dumping social » en y intégrant les organisations! Comme si elle n’était pas la mère de toutes les contre-réformes, y compris la réforme El Khomri !
Ce débat ne peut pas ne pas être mené. 1 600 signataires publics de l’appel «pour la rupture avec l’Union européenne, la rupture avec la Ve République, pour l’Assemblée constituante » le mettent à l’ordre du jour.
Editorial de la Tribune des Travailleurs du 13 juillet 2016
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(1) CGT et CGT-FO, et avec elles: FSU, Solidaires et des organisations de jeunes.
(2) Espace international confédéral de la CGT, 5 juillet 2016.