Le futur traité de commerce Europe-USA, une menace pour les droits syndicaux ?
22 mai 2014 par Rachel Knaebel
Le projet de traité de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis suscite toutes les inquiétudes, en raison du risque de remise en cause des normes environnementales et sanitaires des deux côtés de l’Atlantique. Pour les syndicats européens, une future zone de libre échange constituerait aussi une menace pour les droits des travailleurs et plusieurs protections sociales, comme le salaire minimum. Car les États-Unis ne reconnaissent pas la plupart des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail, et les libertés syndicales y sont notoirement faibles. La protection des travailleurs pourrait-elle bientôt se trouver considérée comme une entrave au commerce ?
Les droits des travailleurs, l’exercice de la liberté syndicale et la prévention de la santé au travail sont-ils menacés par l’accord commercial en cours de négociation entre l’Europe et les États-Unis ? C’est ce que craignent les syndicats européens. Le traité commercial transatlantique, appelé PTCI pour « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » – mais aussi TTIP ou Tafta – est négocié dans l’opacité depuis juillet 2013. Les électeurs ne savent pas grand chose des discussions. Les gouvernements et les députés européens en sont tenus éloignés. C’est la Commission européenne qui négocie le traité directement avec l’exécutif états-unien.
Le traité vise à instaurer une vaste zone de libre échange : 29 États, 820 millions d’habitants, séparés par l’Atlantique Nord. Elimination des droits de douanes, suppression des « obstacles non-tarifaires » au commerce (licence d’exportation, contrôle qualité des importations…), harmonisation des normes et des réglementations, tels sont les sujets sur la table des négociations. Les normes européennes en matière sociale ou environnementale pourraient ainsi être jugées trop contraignantes, et vice-versa. Un tel traité pourra par exemple ouvrir les ports européens à l’arrivée du bœuf aux hormones américain.
Les États-Unis, mauvais élève des droits des travailleurs
Autre point sensible : les mécanismes de « protection des investissements ». Ceux-ci permettent aux multinationales états-unienne et européennes qui s’estimeraient « discriminées » par une réglementation de réclamer des indemnités aux États, devant des tribunaux d’arbitrage privés, si elles jugent leur investissements mis à mal. De tels tribunaux d’arbitrage existent déjà. Et leurs « arbitrages » se font le plus souvent en faveur des intérêts privés (voir L’industrie de l’arbitrage commercial international, ou comment des juristes gagnent des millions en poursuivant les États). Grâce à eux, des entreprises européennes ont par exemple engagé des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Égypte ou contre la sortie du nucléaire décidée par l’Allemagne en 2011. La seule menace d’une plainte, contre l’interdiction d’un produit jugé toxique, d’une technique d’extraction ou du travail le dimanche par exemple, peut parfois suffire pour faire tomber les décisions d’États au profit des entreprises.
Pour la Commission européenne, le jeu en vaut pourtant la chandelle. Selon elle, l’accord transatlantique va « stimuler la croissance et créer des emplois ». Un optimisme qui ne suffit pas à convaincre les syndicats européens. Au-delà du flou des prévisions sur les effets positifs que pourrait avoir le traité sur la santé économique européenne – 0,5% de croissance supplémentaire en Europe grâce au traité selon une étude commandée par la Commission – (lire Ces prédictions économiques « à la louche » qui justifient les politiques de libéralisation commerciale), les syndicats du Vieux Continent s’inquiètent au contraire des conséquences potentiellement dévastatrices sur le droit du travail.
C’est que les États-Unis ne brillent pas par le niveau de protection qu’ils offrent aux travailleurs et à leurs libertés syndicales. Selon un classement des « pires pays où travailler » récemment révélé par la Confédération syndicale internationale (CSI), - et destiné à faire pendant au classement Doing Business (« meilleurs pays pour faire des affaires ») de la Banque mondiale, les États-Unis sont dans la catégorie 4 (« violations systématique des droits ») au même rang que le Pakistan, Haïti et l’Irak, et à peine une catégorie au-dessus que le Qatar, le Bangladesh et le Cambodge. Les « pires » pays européens - Pologne, Roumanie et Royaume-Uni - sont en catégorie 3 ; les autres en catégorie 1 (comme la France) et 2.