Un texte superbe comme Marianne sait les dénicher… Un jeune homme de jadis qui a participé à la fin de l’URSS sans y prêter garde comme beaucoup de soviétiques sort à peine du traumatisme et devant ceux qui se rassemblent autour de Navalny sans cautionner cet homme s’interroge sur la manière la plus juste de dire. Il nous dit à quel point l’URSS était peu répressive simplement fatiguée… mais lisez plutôt il le dit mieux que moi. (note de Danielle Bleitrach - traduction de Marianne Dunlop)
http://www.sovross.ru/articles/2084/50797
Comme beaucoup de Russes, j’ai suivi la série de rassemblements non autorisés qui ont balayé le pays en janvier. L’Internet était rempli de vidéos de différentes villes de Russie, où, en gros, on voyait toujours la même chose : des foules de manifestants scandant des slogans, des responsables de la sécurité vêtus de costumes futuristes – comme s’ils sortaient de “Star Wars” – se produisant dans un ballet brutal, battant des manifestants avec leurs matraques, des cris, des gémissements … Ici une personne inconsciente est jetée dans un fourgon de police. Là, les policiers mettent les détenus à genoux. Voici un policier anti-émeute qui passant près d’un retraité, lui donne un coup de pied au ventre. Un autre, se retournant, frappe avec sa matraque un journaliste muni d’une caméra et d’un gilet avec l’inscription “Presse”… Dans une ruelle de Moscou, la police anti-émeute tabasse des filles qui hurlent: “Nous ne sommes pas armées!” Tandis que sur la Place aux Foins à Saint-Pétersbourg, un policier, voyant des manifestants qui le suivaient, dégaine son pistolet…
Moscou, Pétersbourg, Ekaterinbourg, Kazan, Irkoutsk, Tomsk, Vladivostok … Devant mes yeux défilent aussi des images de ma ville natale. Des rues qui me sont familières depuis l’enfance, des immeubles… Et je me surprends involontairement à penser comment il y a 30 ans, je marchais moi aussi dans ces rues avec une foule de jeunes protestataires.
C’était en 1989, j’étais en première année d’université, j’avais le même fatras pro-perestroïka dans la tête que la majorité des jeunes de cette époque… On n’aimait pas les réunions ennuyeuses du Komsomol, les slogans rebattus sur les murs des maisons, même ceux dont c’était la fonction de les proclamer n’y croyaient plus. Nous condamnions les privilèges de la nomenklatura qui roulait en Volgas noires (nous ne pouvions imaginer que ces humbles gens seraient remplacés par des propriétaires de leurs propres avions, yachts et palais!). Nous voulions du changement. Plus de liberté, de démocratie, des rayons pleins dans les magasins, mais surtout l’émancipation spirituelle, l’abolition de toute censure, la possibilité de lire Berdiaev, Boukharine, Freud, Nietzsche et de décider par nous-mêmes ce qui dans les écrits était juste et ce qui ne l’était pas. Il y a des choses dont j’ai atrocement honte aujourd’hui: nous étions jeunes, naïfs, notre compréhension était limitée. Mais quand même, nous étions animés par un désir sincère d’améliorer la situation dans notre pays, même si nous n’avions qu’une idée très vague de la façon de procéder…
Oui, nous descendions nous aussi dans les rues et sur les places, nous rassemblant en foule près du bâtiment du comité régional local, scandant: “A bas!” et “Liberté!” Permettez-moi de souligner qu’il s’agissait de rassemblements non autorisés. C’était devenu une véritable “mode”. Le poète Andrei Voznessensky, dont j’ai beaucoup aimé les œuvres dans ma jeunesse, a même écrit un poème selon lequel Pouchkine aurait certainement participé à ces actions non autorisées, il a été publié, semble-t-il, dans la revue Younost’.
Et, bien sûr, ces manifestations et rassemblements étaient encadrés par des policiers. Ils nous regardaient, semblaient fatigués, anxieux, peut-être mécontents d’avoir été conduits là à cause du désir des jeunes de faire du chahut. Mais je ne me souviens pas d’un cas où ils se soient précipités sur des manifestants pour les battre, les traîner hors de la foule et les embarquer. Et ils avaient l’air assez paisibles: sans armes, dans leur uniforme habituel. Je ne me souviens même pas qu’ils aient eu des matraques.[...]
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