A tous ceux qui font des analyses très compliquées et politiciennes, qui croient qu’un certain parti a perdu des votes pour un mauvais mot à la télé, pour un mauvais point dans le programme, pour ce candidat indigeste, etc., il faut rappeler une simple vérité: la masse de l’électorat s’oriente et pense d’une manière beaucoup plus simple. Si la «gauche» est devenue indigeste et inaudible aux yeux des électeurs, cela aura des répercussions dans les rayons concentriques, de Renzi à Grasso et encore plus à gauche.
Les distinctions que font les enthousiastes politiques, en coupant les cheveux en quatre, n’ont aucune valeur et ne sont pas intelligibles à l’électeur commun. Il s’agit de comprendre pourquoi il y a eu un rejet aussi large et sans doute définitif de ce qui a été considéré comme «gauche» au cours des dernières décennies. Un phénomène qui ne surprend pas, et qui vient de loin, d’une inversion des rôles et de la représentation des classes et des modes de vie, corroborées par toutes les analyses du vote de ces dernières années, qui ont témoigné du contraste entre les centres urbains et les gens des banlieues qui ont exprimé un besoin de rébellion et de protection.
Ce n’est pas qu’il a manqué un choix d’ offres de gauche possibles, même très variées, même si de mauvaise qualité: à ce stade la question de gauche, disons, est tout entière posée. Toute la gauche (modérée, radicale, antagoniste) était perçue et jugée par l’électorat comme faisant partie intégrante d’un système à changer.
Nous assistons également en Italie à la noyade de la gauche libérale qui a longtemps été hégémonique avec sa vision du monde. La soi-disant «gauche radicale» n’avait été que l’aile extrême de cette idéologie largement répandue, très sensible aux questions de droits civils et de batailles «humanitaires», en fait inerte sur le terrain des droits sociaux.
Et aussi complice de la construction du mythe européen, qui est en toile de fond le grand perdant de cette consultation. Partie intégrante de l’establishment européiste du Parti Démocrate, les critiques de la gauche sont très souvent marqués par le refus de « plus d’Europe ».
Non seulement l’euro et les règles auxquelles nous sommes confrontés, mais aussi une idéologie globale puissante et omniprésente, un front politique et culturel vaste, convaincu que « plus d’Europe » est la solution aux problèmes que l’Europe elle-même a imposé aux masses. Il faudrait un travail de longue haleine pour démystifier – comme nous l’habitude de dire – les résultats d’une hégémonie construite sur plusieurs dizaines d’années avec l’utilisation massive des ressources culturelles, des médias, économiques, mais reposant sur des bases historiques et théoriques fragiles, comme le montre ce document embarrassant qui est entré dans l’histoire comme un «manifeste de Ventotene».
Le problème de l’européanisme de gauche est que ce n’est plus seulement une idéologie substitutive du XIXe siècle qui s’est effondrée en 1989 et elle n’est plus seulement une «religion civile» imposée aux sujets par l’establishment. Mais maintenant c’est la vraie religion, avec ses dogmes, ses actes de foi aveugle et absolue, la croyance quia absurdum (je pense que c’est absurde) et aussi une dose massive de sacrifice humain. Au moins commencer à poser le problème, en discuter ouvertement et d’une manière laïque à gauche, sera certainement positif (il le faut ).
Sans repenser tout, il sera impossible de recommencer. Je ne l’ ai pas de grandes illusions, la République continuera à s’extasier sur le populisme et « souverainisme », la gauche continuera à traiter les masses de fascistes et racistes qui expriment l’ inconfort pour leurs conditions de vie, continuera à débattre des «obsessions SÉCURITAIRES » et imaginera que ce «multiculturalisme» est un dîner de gala sans déchirure et drame. La défense de l’intérêt national sera laissée à la droite, et même l’exercice de la souveraineté constitutionnelle pour laquelle nous avons voté le 4 décembre 2016.
« Nous ne sommes pas intéressés par la souveraineté nationale, nous sommes internationalistes », affirme le chef d’une liste électorale qui a pris 1,1%. On se demande depuis quand cette position, qui ignore même le sens des mots, et qu’il serait impossible d’expliquer aux Cubains, aux Vietnamiens, mais aussi aux Kurdes et à tout autre peuple, est devenue monnaie courante dans la gauche italienne.
Au lieu d’évoquer le peuple, nous devrions au moins commencer à nous parler. Lorsque vous déciderez de le faire, il ne sera jamais trop tard.
Lu sur Il Manifesto et traduit par D. Bleitrach