Comment évaluer la situation en Ukraine? par Petro Simonenko
06/08/2014
Le pays est au bord du gouffre. Et si l’Ukraine continue selon le vœu de l’Occident et des États-Unis sa trajectoire de transformation en état périphérique, servant les intérêts des sociétés transnationales, si elle continue sa trajectoire de guerre, où une guerre civile risque de se transformer en conflit entre Etats, nous allons nous retrouver face à une menace réelle de destruction de l’intégrité territoriale, la perte de l’indépendance.
Les oligarques qui ont pris le pouvoir après le coup d’Etat sur le Maidan en février, et leurs complices nationalistes, cherchant à justifier leurs crimes sanglants dans les régions d’Odessa, Marioupol, Donetsk et de Lougansk, prétendent assister aujourd’hui à la naissance d’une nouvelle nation unie.
C’est un mensonge flagrant. Lorsque un Ukrainien tue un autre Ukrainien, lorsque sont massacrés vieillards, femmes, enfants, lorsque les villages sont rasés, les fabriques et les usines, les écoles, les hôpitaux, les crèches, les infrastructures des grandes villes des régions de Donetsk et de Lougansk sont détruits, lorsque des centaines de milliers de citoyens de l’Ukraine à la recherche de paix laissent leurs maisons et deviennent des réfugiés, parler d’une nation unie est un blasphème!
Le régime national-fasciste mène une guerre de l’information, dont le but est de justifier les crimes contre son propre peuple par une lutte contre les séparatistes et les terroristes.
Pour l’amour de la vérité et dans l’espoir d’arrêter cette guerre fratricide, je tiens à réitérer que les protestations dans le Donbass ont commencé avec les exigences du maintien de la langue russe comme langue officielle, la nécessité de décentraliser le pouvoir et renforcer les pouvoirs des collectivités locales, la possibilité de référendums locaux. Les résidents des régions de Donetsk et de Lougansk sont opposés à la destruction des monuments et des obélisques aux héros de la Grande Guerre patriotique, contre la distorsion de l’histoire.
Ils n’ont pas voulu les entendre ni les écouter et ont déclaré la guerre à leur propre peuple.
On assiste à une chute extrêmement dangereuse de la production, à la montée de l’inflation, des prix et des tarifs, au gel des salaires des employés, à la réduction des coûts pour les programmes de soutien aux retraités, aux femmes, aux jeunes, à la lutte ouverte contre les dissidents et la censure violente dans les médias. La signature d’un accord désastreux d’association avec l’UE, d’un protocole esclavagiste avec le FMI, la perte du marché en Russie et la situation catastrophique avec le gaz (manque d’approvisionnement par la Russie) conduira inévitablement à une hausse du chômage, une baisse du niveau de vie et une montée de la tension sociale.
En 2014, comme en 2004-2005, est venu au pouvoir en Ukraine le même groupe d’oligarques, complètement dépendants et exécutant tous les ordres des USA et de l’Europe. Le danger de leur maintien au pouvoir est renforcé par le fait qu’ils ont pris pour complices l’organisation pro-fasciste "Svoboda" et d’autres courants nationalistes d’extrême-droite. L’arrivée au pouvoir des milliardaires, tant dans l’Administration présidentielle qu’à la direction des régions (à Donetsk – Tarouta, à Dnipropetrovsk – Kolomoysky), la création d’armées de mercenaires privés montrent la division réelle du territoire de l’Ukraine en principautés oligarchiques (féodales).
La guerre continue dans l’intérêt des États-Unis – à savoir le nettoyage des zones pour assurer l’extraction du gaz de schiste.
Cette guerre est une lutte des oligarques pour la redistribution des richesses, et ceux qui sont arrivés au pouvoir à Kiev s’efforcent par la guerre de détruire les fabriques et les usines dans la plus grande région économique de l’Ukraine, ce qui rend impossible pour les oligarques du Donbass d’augmenter leurs richesses. Et cela signifie des centaines de milliers de chômeurs.
Cette guerre – c’est la destruction physique des citoyens de l’Ukraine qui se sont permis de revendiquer le droit à la vérité de l’histoire, de parler leur langue, de demander l’utilisation de l’argent gagné pour le développement de leurs régions, et non pas pour nourrir les fonctionnaires de Kiev qui piochent dans le budget pour se remplir les poches.
Cette folie doit cesser!
Quelle est la cause et qui est le principal responsable de ce qui se passe?
Il est évident que ceux qui toutes ces années ont intimidé les citoyens ukrainiens par des mensonges sur le passé soviétique, sur les pages tragiques de notre histoire, ont fait cela pour détruire les principes de justice sociale, le système du pouvoir populaire, et pour pouvoir s’enrichir par la dure exploitation des autres, le chômage, la hausse des prix et des tarifs, le faible niveau des salaires et des pensions. La raison de ce qui se passe est dans le système politique, qui est le gardien des intérêts du capital et des oligarques. La raison est la privatisation illégale des biens publics, qui a conduit à une énorme stratification sociale entre une poignée de riches et les pauvres. La plupart en travaillant s’appauvrissent, et plusieurs centaines de tyrans deviennent riches. Beaucoup de gens ne remarquent pas comment dans un flux dense d’événements tragiques sont relégués au second plan les problèmes clés et les maladies de notre société : la corruption, l’oligarchie, la profonde stratification sociale, la collusion entre les fonctionnaires et les criminels, le mépris pour les droits des personnes. Les conversations à ce sujet sont de plus en plus pour la forme. Les vraies solutions sont reportées pour "après", pour "après la victoire." Seulement une victoire sur qui?
Les participants aux Maidan et ceux qui l’ont utilisé à leurs propres fins font valoir qu’il s’agissait d’une révolte contre un régime criminel. Cependant, comment à la fin se fait-il que des citoyens ukrainiens tirent maintenant sur d’autres citoyens ukrainiens? Et ceux qui faisaient partie de ce régime se sentent bien dans les "nouvelles conditions"? Comment se fait-il que l’indignation face à l’indifférence des autorités à l’opinion publique a donné lieu au refus d’entendre nos concitoyens, qui ont une opinion différente? Et comment se fait-il que, dans le sillage d’un sentiment anti-oligarchique, à nouveau les oligarques se retrouvent au pouvoir? Pas moins cyniques ni cupides.
Comment se fait-il que les gens de l’Ukraine, qui ont apporté une grande contribution à la Grande Victoire du peuple soviétique sur le fascisme, aient porté au pouvoir un régime national fasciste? Le régime instauré après le coup d’état sur la Place de l’indépendance a provoqué une confrontation civile et la société a basculé dans la guerre civile. Bien que, en fait, les raisons d’un conflit au sein de la société n’existaient pas.
Dans leurs demandes, les travailleurs ukrainiens dans l’Est et l’Ouest, le Sud et le Nord, le Centre et les régions, sur les Maidan et anti-maidans exigeaient des solutions à des questions similaires : surmonter les inégalités sociales, assurer une répartition équitable de la richesse sociale, briser la toute-puissance des oligarques et mettre fin à la corruption. Les citoyens ukrainiens veulent améliorer l’efficience et la responsabilisation du gouvernement.
Mais tout cela a fini par des conflits internes, suivant la technologie du grand capital. Avec son aide, le mécontentement social de la société dans son ensemble a été détourné dans le canal de la haine mutuelle. Malheureusement, cette technique a marché. Et cela va fonctionner aussi longtemps que nous ignorerons l’intention criminelle des oligarques.
Est-il un espoir pour une résolution rapide du conflit?
Dans la logique imposée par le capital – aucun. En effet, dans les relations entre le pouvoir, qui protège les intérêts du capital, et les gens ordinaires, entre les nouveaux maîtres, qui sont devenus oligarques, et les travailleurs, rien n’a changé. La classe des propriétaires s’est rendu compte depuis longtemps qu’elle a besoin du pouvoir comme une garantie de la poursuite de son enrichissement, et les travailleurs persistent dans un état d’illusion que leurs exploiteurs propriétaires sont jour et nuit à réfléchir à la façon de faire le bien pour eux, et votent pour les oligarques, se condamnant ainsi à la pauvreté.
Certains représentants de l’ancien régime oligarchique, après le coup d’Etat sur le Maidan, s’enfuirent, et l’opposition oligarchique arrivée au pouvoir a pris pour alliés les nationalistes – néo-fascistes, ainsi qu’une partie importante des partisans de M. Ianoukovitch, puis a continué à faire ce que faisaient leurs prédécesseurs au pouvoir. Le «népotisme», la corruption continuent de prospérer. Les fonctionnaires et les grandes entreprises volent même en temps de guerre. L’Ukraine traverse un stade d’oligarchisme militaire, lorsque les oligarques ne se cachent plus derrière des sbires, et occupent directement les hautes fonctions publiques. Et renforcent leur régime non seulement par des ressources administratives, et la violence directe, en s’appuyant sur les armées mercenaires privées.
Pour la première fois dans l’histoire de son indépendance, l’Ukraine a un président oligarque. Pour la première fois les oligarques ont formé des unités militaires, qui refusent d’obéir aux lois de l’Ukraine. Au sein de l’Ukraine se sont formées des "principautés" oligarchiques et les nouveaux magnats se battent pour leur contrôle par l’entremise du peuple ukrainien.
Et pour que ce fait ne saute pas aux yeux, on a vendu à la société ce conte sur l’intégration européenne sous forme d’une association avec l’UE, mais sans adhésion à l’UE, qui explique et excuse tout – et les mesures antisociales, et l’exploitation accrue, et le pillage du pays.
Les gens se laissent une fois de plus berner. Et c’est la raison principale pour les événements d’aujourd’hui, et encore plus – c’est la raison de la catastrophe nationale qui approche. Tant que la société ukrainienne ne se débarrassera pas de la bride oligarchique, le développement sera impossible. L’Ukraine sera constamment frappée par les échecs économiques, les crises politiques et les conflits civils.
à suivre : Comment évaluer la situation à l’Est?
Lien: http://www.kpu.ua/ru/78094/petr_symonenko_kak_otsenyt_sytuatsyju_v_ukrayne
Lu sur le blog de Danielle Bleitrach "Histoire et société"