Maja Czarnecka Publié le
Ce cintre est le symbole de l’enfer des femmes", s’exclame Maria Kruczkowska. Cette sexagénaire est venue manifester, dimanche devant le Parlement, contre le durcissement de la loi sur l’avortement en Pologne. Une mesure proposée par des organisations pro-life. "C’est un symbole lisible pour les personnes âgées. C’est avec cet objet que les femmes se faisaient avorter avant la guerre", explique-t-elle, en tenant dans sa main un cintre métallique en fil de fer. "Cette loi ferait revenir la Pologne en arrière", poursuit-elle, alors que la foule scande "Non à une Pologne des fanatiques" et brandit des pancartes "Non à la charia catholique".
Comme elle, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à l’appel du nouveau parti de gauche Razem (Ensemble), à Varsovie et dans d’autres villes, leur opposition à l’interdiction totale de l’avortement, déjà strictement limité dans le pays depuis 1993.
Un compromis fragile entre l’Etat et l’Eglise catholique
Après la chute du communisme en 1989, où l’IVG était libre d’accès et pratiquée massivement, l’avortement fut limité à trois cas : risque pour la vie et la santé de la mère, grave pathologie irréversible chez l’embryon et grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste. Depuis, aucune force politique, ni en faveur d’un durcissement, ni d’une libéralisation, n’a réussi à changer ce "compromis" délicat conclu entre l’Eglise et l’Etat. Mais, avec la victoire du parti Droit et Justice (PiS) lors des élections du mois d’octobre, les organisations pro-life et l’Eglise veulent aller plus loin. "En ce qui concerne la vie des ‘non-nés’, on ne peut pas en rester au compromis actuel exprimé dans la loi du 7 janvier 1993", ont écrit les évêques dans une lettre aux fidèles. Un appel qui a provoqué la colère de certains catholiques qui, en signe de protestation, ont quitté les églises au milieu de la messe.
Alors que la loi actuelle expose seulement le médecin qui pratique illégalement l’IVG à une peine allant jusqu’à deux ans de prison, le nouveau projet prévoit des sanctions plus lourdes. L’emprisonnement pourrait durer jusqu’à cinq ans et concerner également les femmes qui se font avorter. En outre, le nouveau ministre de la Santé veut limiter l’accès à la pilule du lendemain, qui ne serait accessible que sur prescription d’un médecin.
"On a peur. Cette loi vise les droits des femmes, on ne pourra plus faire d’examens génétiques. Une femme violée n’ira pas porter plainte de peur d’être surveillée", estime Monika Stobiecka, une étudiante de l’Université de Varsovie âgée de 25 ans. "Tout cela n’est qu’une énorme hypocrisie; les femmes se font avorter de toute manière, mais clandestinement, ou elles vont à l’étranger, en République tchèque ou en Allemagne", ajoute sa camarade Monika Szybka.
La semaine dernière, le chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, et la Première ministre Beata Szydlo ont exprimé leur soutien au projet, soulignant qu’il s’agissait d’une "opinion personnelle". Mais cela s’apparente à une consigne à suivre claire pour les élus du parti, proche de l’Eglise et fort d’une majorité absolue au Parlement. Selon le dernier sondage de l’institut CBOS, les Polonais sont en majorité pour le maintien de la loi actuelle.
"Le PiS lance une nouvelle guerre idéologique pour masquer ses difficultés à réaliser ses promesses sociales" , analyse le leader de Razem, Adrian Zandberg. "Les radicaux et les extrémistes au PiS, qui lors de la campagne n’étaient pas visibles, ont pris aujourd’hui la main."