Portrait des agriculteurs haut-normands - Entre tradition familiale et restructuration économique
Auteurs : Michel Delacroix (DRAAF), Christian Camesella, Catherine Sueur (Insee Haute-Normandie)
Résumé
La Haute-Normandie est une région de grandes cultures et d'élevage bovin, avec trois orientations productives principales : les grandes cultures, la polyculture-polyélevage et l'élevage laitier spécialisé. L'agriculture occupe les deux tiers du territoire haut-normand. Les espaces qui lui sont dédiés diminuent mais leur consommation est un peu moins forte qu'ailleurs. Souvent proche des villes, l'agriculture haut-normande n'a pourtant rien d'une agriculture " périurbaine " où les petites structures dominent. La taille des exploitations est même supérieure à la moyenne nationale. Les moyens de production se concentrent au rythme des restructurations. Les EARL se multiplient en lien avec la recherche d'une plus grande sécurisation des moyens de financement et du statut des actifs de la famille. La proportion d'agricultrices n'a pas varié depuis dix ans mais la participation des femmes est mieux reconnue. Les agricultrices s'installent tardivement, notamment en raison des transmissions d'activité entre époux au moment de la retraite. Le renouvellement des générations est difficile. Les trentenaires, peu nombreux, sont bien formés et présentent des profils de jeunes entrepreneurs à la tête de grandes exploitations. Leurs conjoints choisissent plus facilement de travailler à l'extérieur. Les conjointes d'agriculteurs sont davantage diplômées que les conjoints d'agricultrices et comptent une proportion de cadres assez importante. Les conjoints hommes sont souvent ouvriers ou artisans. La population agricole continue de diminuer. Certains aspects du modèle familial " traditionnel " perdurent : la vie en couple prédomine et la taille des ménages est plus importante qu'en moyenne. Les agriculteurs occupent aussi des logements un peu plus grands et plus anciens.
EXTRAITS. Voir la totalité de l'article ici.
Une région de grandes cultures et d'élevage
Les différents systèmes agricoles haut-normands sont répartis sur le territoire en fonction des caractéristiques des sols et du climat.
Le Sud-Est de l'Eure : Des exploitations céréalières y produisent surtout du blé, de l'orge et du colza.
Un peu plus au nord, [...], lin, betteraves et pommes de terre complètent l'assolement dans des exploitations de grandes cultures diversifiées. Encore plus au nord, l'élevage, surtout des vaches laitières et souvent des bovins à viande, est associé aux grandes cultures dans les exploitations mixtes typiques du Roumois et du Pays de Caux.
À l'est et à l'ouest, sur les reliefs plus accidentés du Pays de Bray et du Pays d'Auge, les cultures perdent de l'importance, les exploitations sont spécialisées en élevage laitier ou mixte lait et viande.
Le maraîchage et l'horticulture, peu développés, sont concentrés dans la vallée de la Seine et autour des agglomérations. L'élevage hors-sol de porcs et de volailles, également peu important, est réparti sur tout le territoire.
[...]
Plus de la moitié des agriculteurs réside dans l'espace périurbain
La majorité des agriculteurs réside dans l'espace périurbain (55 %). [...] La proximité des grands pôles d'emploi tertiaire des aires urbaines favorise parfois le travail à l'extérieur, notamment pour les conjointes.
Un potentiel économique de 1,2 milliard d'euros
Confirmant les spécificités départementales, 70 % du colza et 60 % du blé de la région sont cultivés dans l'Eure ; 75 % du troupeau laitier et 65 % du troupeau allaitant haut-normand est élevé en Seine-Maritime. La valeur globale de la production agricole(1) régionale atteint 1,24 milliard d'euros en 2010, soit 2,4 % de la valeur de la production agricole en France métropolitaine. En 2009, elle contribue à hauteur de 1,2 % à la production de richesses en Haute-Normandie.
Selon leur potentiel économique, les exploitations sont classées en trois catégories : les " petites " dont le chiffre d'affaires potentiel n'excède pas 25 000 euros par an, soit l'équivalent d'une vingtaine d'hectares de blé ; les " moyennes ", dont le potentiel économique est compris entre 25 000 euros et 100 000 euros ; les " grandes " enfin dont le chiffre d'affaires moyen dépasse 100 000 euros. La Haute-Normandie compte ainsi 41 % de grandes exploitations, 20 % de moyennes et 39 % de petites.
Seules les " moyennes " et " grandes " peuvent être considérées comme des structures véritablement économiques. Elles assurent 98 % de la valeur de la production et exploitent 96 % de la surface agricole.
Les " petites " ont une vocation patrimoniale (entretien et valorisation de biens fonciers), elles jouent aussi un rôle social (revenu d'appoint, maintien en activité, loisir) et ont un impact sur l'environnement et les paysages. Les petits agriculteurs élèvent des moutons (1 sur 3), des bovins (1 sur 3), des chevaux (1 sur 5) ; ils valorisent 22 000 ha de prairies.
(1) Exprimé en produit brut standard (PBS). Le PBS correspond à la valeur de la production en 2010. Il est calculé en appliquant le rendement moyen et le prix moyen sur 5 ans des différents produits agricoles régionaux aux surfaces et aux effectifs animaux obtenus par le recensement.
Des exploitations moins nombreuses mais plus grandes
En 2010, la Haute- Normandie comptait 11 500 exploitations agricoles. En dix ans, 29 % des exploitations ont disparu, une baisse plus forte dans l'Eure (− 35 %) qu'en Seine-Maritime (− 24 %), et qui affecte surtout les petites et moyennes exploitations. Les grandes exploitations restent relativement stables en nombre.
La surface agricole utilisée diminue nettement moins vite que le nombre d'exploitations, elles sont donc de plus en plus grandes en taille. En moyenne, la superficie des " grandes " est passée en dix ans de 110 hectares à 135 hectares ; celles des moyennes de 45 ha à 50 ha ; quant aux " petites ", elles restent petites, 7 ha en moyenne. Si la surface des exploitations " petites " et " moyennes " est comparable à celle observée en France métropolitaine, les " grandes " sont nettement plus grandes, 29 ha de plus que la surface moyenne française.
Les grandes exploitations réalisent 86 % du produit agricole
Source : Agreste, Recensements agricoles 2000 et 2010
La forme sociétaire se développe
Le fait marquant des dix dernières années est le fort développement des formes sociétaires en agriculture. Le GAEC (groupement agricole d'exploitation en commun) a longtemps constitué la seule forme sociétaire agricole. D'autres formes juridiques sont venues compléter les possibilités de choix, et en particulier l'EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée) qui a rencontré un grand succès auprès des agriculteurs, surtout depuis 2000.
En 2010, plus de la moitié des exploitations dans les catégories " moyennes " et " grandes " sont constituées en société (3 800 sur 7 000).
[...]
Une recomposition de la main-d'œuvre agricole
En Haute-Normandie, 22 800 personnes (soit 3 % de l'emploi total en Haute-Normandie) travaillent régulièrement dans les 11 500 exploitations agricoles. En tenant compte du temps de travail réel et en intégrant la main-d'œuvre occasionnelle, l'ensemble représente l'équivalent de 15 100 emplois à temps complet(2).
La main-d'œuvre agricole est composée des exploitants agricoles, de leur conjoint et autres membres de la famille qui travaillent régulièrement dans les exploitations (population active familiale) et des salariés permanents (hors famille). L'ensemble constitue la main-d'œuvre permanente(3). Elle est complétée par la main-d'œuvre occasionnelle (travailleurs saisonniers, stagiaires) et par les travaux réalisés par des entreprises prestataires de service.
Entre 2000 et 2010, la tendance générale est à la diminution du travail familial réalisé par les membres de la famille sans réel statut, compensée par une augmentation significative du travail réalisé par les exploitants eux-mêmes et par la main-d'œuvre salariée.
Les agriculteurs exploitants sont au total 14 100, parmi eux 9 500 dirigent une exploitation " moyenne " ou " grande ". Leur nombre a diminué de 23 % en dix ans, moins vite cependant que le nombre d'exploitations du fait du développement des sociétés. Ainsi, le nombre de conjoints coexploitants est passé de 350 à près de 900 en 10 ans. Cette évolution va dans le sens d'une meilleure reconnaissance du métier d'agriculteur. La part du travail réalisé par les exploitants a ainsi progressé de près de 3 points en 10 ans, ils assurent 62 % du travail agricole total.
Les membres de la famille actifs sur l'exploitation ont très fortement baissé et tout particulièrement les conjoints, moins 40 % en 10 ans. Ils sont 3 400 en 2010, les deux tiers sont des femmes. L'accès au statut de coexploitant explique en partie cette diminution ; l'autre raison est que les conjoints, et particulièrement les jeunes femmes, privilégient de plus en plus une activité professionnelle en dehors de l'exploitation. La part du travail agricole assuré par les membres de la famille, traditionnellement forte en agriculture, se réduit fortement, de 20 % en 2000 à 13 % en 2010.
En revanche, le nombre de salariés permanents a peu diminué (− 6 %), il a même augmenté en Seine-Maritime. Ils sont 3 800 en 2010, très majoritairement sur des postes d'ouvriers. Ils sont jeunes, 35 ans en moyenne et assurent 19 % du travail total, soit 3 points de plus qu'en 2000.
(2) Exprimé en unité de travail annuel. Une UTA correspond à une personne travaillant à temps complet toute l'année dans une exploitation agricole.
(3) La main-d'œuvre permanente correspond à toutes les personnes travaillant de manière régulière sur l'exploitation durant au moins 8 mois, quel que soit le temps de travail.
Tableau 2 : La population active agricole
Répartition du travail agricole par catégorie de main-d'œuvre
Unité : %
Source : Agreste, Recensements agricoles 2000 et 2010
Les jeunes agriculteurs parmi les actifs les mieux formés
La proportion de bacheliers chez les agriculteurs de moins de 40 ans atteint 80 %, parmi eux, 37 % ont suivi des études supérieures. En 10 ans, la proportion de bacheliers dans cette tranche d'âge a été multipliée par deux.
[...]
80 % des agriculteurs de moins de 40 ans au niveau bac
Unité : %
Source : Agreste, Recensements agricoles 2000 et 2010
Un renouvellement des générations difficile
L'âge moyen des agriculteurs est de 52 ans. IIs sont plus jeunes dans les exploitations " moyennes " et " grandes " (48 ans en moyenne), que dans les " petites " (59 ans). La pyramide des âges montre des signes de vieillissement. Le renouvellement des exploitations est donc problématique. Pour 100 agriculteurs de plus de 50 ans, on ne compte que 7 exploitants de moins de trente ans. La proportion est un peu plus élevée dans les exploitations " moyennes " et " grandes " (11 %), par contre elle est extrêmement faible dans les " petites " (3 %). Il faut cependant relativiser, les jeunes s'installent à 28 ans en moyenne, un âge qui n'a cessé de reculer depuis 40 ans (en 1980, ils s'installaient à 24 ans). Du côté des femmes, la pyramide présente un aspect concave qui témoigne d'installations plus tardives que pour les hommes, du fait des successions entre époux au moment de la retraite, et aussi du fait des changements de statut de conjointe à coexploitante.
[...]
Un métier à temps plein dans les grandes exploitations, une activité d'appoint dans les petites
Dans les exploitations " moyennes " et " grandes ", 90 % des agriculteurs exercent ce métier à titre principal, ils ne sont que 10 % à l'exercer comme activité secondaire, mais 4 % d'entre eux sont aussi agriculteur à titre principal sur une autre exploitation. [...]
Dans les " petites " exploitations, la situation est très différente. La majorité des exploitants sont des retraités (43 %, dont 20 % sont d'anciens exploitants) et des pluriactifs (37 %). Ces derniers sont employés (15 %), commerçants ou artisans (6 %), ouvriers (5 %), salariés agricole (5 %). Moins d'un exploitant sur cinq déclare n'exercer aucune autre activité. Pour ces petits exploitants, le temps partiel est la règle, 70 % d'entre eux consacrent moins de un quart de leur temps à leur exploitation.
[...]
Moins de propriétaires comparé aux agriculteurs de France métropolitaine
Comme dans les autres régions, la part de propriétaires chez les agriculteurs est supérieure à celle de l'ensemble des actifs. Cependant, les agriculteurs haut-normands sont moins souvent propriétaires de leur logement qu'ailleurs, comme l'ensemble des ménages.[...]