Entre les Français et leurs élus au plan national le divorce est de plus en plus flagrant. Trois faits majeurs en témoignent :
- la masse croissante des abstentions lors des élections.
- Le désaveu populaire infligé aux 90% de députés qui soutenaient le projet de constitution européenne.
- Le rejet du CPE par la voix de millions de manifestants contre l’avis du chef de l’Etat, du gouvernement et de la majorité de l’Assemblée Nationale.
Constater cela, c’est assez dire que la majorité des députés et des sénateurs, que le Président de la République et ses ministres ne sont pas représentatifs de l’opinion publique, c’est du même coup en conclure que le système qui leur a permis d’être en place est profondément vicié ; qu’il est urgent de remanier démocratiquement nos institutions. Ceci afin de faire enfin prendre en compte les revendications populaires tout en privant les tenants du Capital de pouvoir agiter les épouvantails de l’extrême droite ou de l’anarchie ; de redynamiser la citoyenneté et d’en finir avec la démagogie des slogans : « tous pourris » ou «élections, pièges à cons ».
Les institutions reflètent le rapport de forces entre exploitants et exploités. Elles ne sont pas immuables car le rapport évolue en fonction des luttes de classes. Ainsi, au sortir de la seconde guerre mondiale, le rapport de forces étant favorable à la classe ouvrière, les institutions permettront la nationalisation de grands moyens de production, l’élargissement du secteur public, la création de la sécurité sociale, l’amélioration du code du travail etc… Mais le capital n’a de cesse de vouloir récupérer ses pertes et d’accroître ses gains. En 1958, le rapport des forces lui étant à nouveau favorable, les institutions changèrent. Elles visaient un double objectif par le biais du nouveau système électoral : servir les intérêts des exploitants en maintenant une majorité favorable au système économique existant et empêcher toute volonté transformatrice de la société.
Dès lors tous les gouvernements qui se sont succédés ont poursuivi des choix politiques en faveur du capital.
1. Le blocage et la baisse des salaires (suppression de l’échelle mobile des salaires) annoncée dès 1982, déclenchent un chômage massif. Cette «armée de réserve » de chômeurs joue depuis le rôle de levier contre les aspirations et revendications populaires.
2. Le détournement des missions publiques et collectives de l’Etat au seul profit d’une logique de «marché » et sa concrétisation par la démolition des services publics (santé, recherche …).
3. La précarisation généralisée des conditions de travail et de l’emploi des jeunes salariés (TUC, CES, …)
4. La liquidation de secteur public. De fait, les nationalisations opérées dans le secteur productif concurrentiel en 1982 qui relevaient fondamentalement d’une logique idéologique, se sont transformées en une transposition sociale-démocrate de la démarche de l’appropriation collective des moyens de production. Ainsi, la suppression des aides financières publiques a poussé les entreprises nationalisées à se tourner vers les marchés financiers puis l’ouverture du capital à des apports étrangers. Dès lors l’économie de marché a accentué la banalisation du secteur public et la décompositions de ses objectifs en faveur des usagers.
5. La remise en cause du système de protection sociale française.
6. La construction de l’Europe du capital visant à «institutionnaliser la «logique de marché », moteur du profit avec son lot de délocalisations d’entreprises, de misère et de surexploitation.
Un système électoral pervers qui étouffe les revendications populaires
1. Le système du scrutin uninominal à 2 tours et l’élection d’un président de la République au suffrage universel, imposent aux électeurs un non-choix.
L’abandon du mode d’élection à la proportionnelle des représentants de l’Assemblée Nationale a définitivement éliminé les intérêts du peuple des choix politiques de cette Assemblée.
En effet, pour les candidats présents au second tour (législatives et Présidentielles), les compromissions sont nécessaires pour obtenir les voix des candidats malheureux. Pour atteindre cet objectif, les promesses faites au 1er tour seront évacuées. Dès lors, les mécanismes du capitalisme ne risquent pas d’être remis en cause par les 2 finalistes du 2ème tour. Et pour compléter le dispositif, tout est prévu : là intervient le rôle dévolu à Le Pen et à l’extrême-droite, servant de défouloir, de dévoiement de colère au 1er tour et le cas échéant de repoussoir et d’épouvantail au second. Aucun risque pour le capital.
Une fois élus, ces « représentants du peuple » voteront des lois, concoctées par le gouvernement, essentiellement défavorables aux travailleurs. Ainsi l’Assemblée Nationale est, de fait, une caisse d’enregistrement des besoins du capital.
2. L’inefficacité du rôle de l’Assemblée Nationale vis-à-vis du gouvernement
(l’Etat) est notoire.
A ce sujet, l’exemple des débats parlementaires sur l’acte majeur que constitue l’examen de la Loi de Finances soumis par le gouvernement (les ministères et l’Elysée) est révélateur. Pendant 6 mois, les modifications apportées par les députés sur le budget de l’Etat ne représente que 5% du projet initial !
De plus, en ramenant le mandat présidentiel à 5 ans, cette élection, précédant de quelques semaines celle des Législatives, imposez une dimension politique quasi monarchique dans notre pays. Ceux d’entre eux qui ont accepté ou minoré cette modification institutionnelle majeure ont grandement participé à la dérive actuelle. Quelle irresponsabilité d’appeler à l’abstention !
Dans ce cadre, les partis politiques institutionnels deviennent de véritables écuries de course qui recherchent un «leader » : pour, tout d’abord, atteindre le 2ème tour, puis obtenir le mandat suprême, et enfin se donner une majorité à l’Assemblée Nationale.
3. Le principe de se doter de représentants pour définir des choix politiques
« nationaux » retire au peuple son pouvoir politique, une fois les élections passées.
C’est incontestable : la volonté populaire est interdite de parole pendant la durée de mandat des élus, d’autant qu’ils n’ont jamais de compte à rendre.
Ainsi le peuple, sur les grandes questions de société (services publics, privatisations, sécurité sociale, retraites, intérêts nationaux, santé publique, énergie, …) n’a pas été consulté.
Utilisant son seul recours, le mouvement social multiplie dans ce cas les journées de grèves et de manifestations. A l’occasion des grèves contre les décisions gouvernementales visant notre système de retraites, J.P.Raffarin, rappelant où se situait le pouvoir politique, avait déclaré : « Ce n’est pas la rue qui gouverne ! ». Cette formule a dû plaire à Dominique Strauss Khan qui écrivait dans son livre «la flamme et la cendre » :
« Du groupe le plus défavorisé, (ouvriers et employés NDLR), on ne peut malheureusement pas attendre de lui une participation sereine à une démocratie parlementaire. Non pas qu’il se désintéresse de l’Histoire, mais ses irruptions s’y manifestent parfois avec violence ».
Mais l’appétit du profit du capital est insatiable. Et pourtant, les institutions qui lui sont favorables ne sont pas sollicitables à l’infini. D’une part parce que, définies dans le cadre de la nation, elles ont les limites de la constitution et se heurtent de plus en plus aux exigences de la mondialisation, d’autre part parce qu’elles provoquent la montée de la contestation populaire sous diverses formes (abstentions, grèves, manifestations, émeutes des banlieues etc…). Ni les exploitants, ni les exploiteurs ne sont satisfaits des institutions en ^place. Elles ne servent plus suffisamment les intérêts des premiers et desservent trop les intérêts des autres. Voilà pourquoi le patronat a voulu échapper au cadre, devenu trop étroit pour lui, des institutions françaises en proposant une constitution européenne. Voilà aussi pourquoi celle-ci a été refusée à plus de 65% des voix exprimées au référendum et pourquoi des millions de manifestants ont rejeté la proposition de loi sur le CPE.
Quand ceux d’en haut et ceux d’en bas sont mécontents des institutions en place, on peut dire que celles-ci sont révolues. Il faut faire place à du neuf. Evidemment les uns et les autres ne proposent pas les mêmes recettes pour changer la constitution. Il est temps que nous avancions les nôtres sans attendre en convaincant notre peuple qu’aucun acquis des luttes ne pourra être durable si les institutions ne les garantissent pas.
Faire du neuf dans nos institutions
A notre sens les lois de la Nation devraient répondre à trois principes fondamentaux : le gouvernement propose, le peuple tranche, les députés appliquent.
Pour qu’il en soit ainsi
1. Un représentant de l’Assemblée Nationale ne doit en aucune manière négocier ses opinions pour être élu. Il doit être élu à la proportionnelle tous les 5 ans. Il peut être révoqué à tout moment par les électeurs pour non-respect des propositions qu’il a faites avant d’être élu ou tentative d’enrichissement personnel par utilisation de son mandat. Il est détaché de son entreprise d’où il est issu le temps de son mandat qu’il réintégrera, s’il le souhaite, à la fin de celui-ci.
2. Le Président de la République est élu par l’Assemblée Nationale. Sa mission unique : défendre les intérêts du peuple, de la Nation au niveau international. Il participe au conseil des ministres (le gouvernement).
3. Le ministre, membre du gouvernement, dirige son ministère par le biais d’une commission. Elle est constituée de fonctionnaires de l’Etat (spécialistes) pour 1/3 ; de représentants syndicaux et associatifs pour 1/3 ; de députés pour 1/3. Elle prépare les lois fondamentales qui doivent être exposées clairement.
Les lois fondamentales sont (liste non exhaustive) :
- Le droit au travail
- Le droit à la santé, à la sécurité sociale et à la retraite
- Le droit au logement
- Le droit à l’éducation et à la culture
- Le droit aux transports et à l’énergie
- Le droit à la sécurité populaire
- Les garanties des travailleurs
- Le droit à la justice collective et individuelle
- La défense nationale
- Les garanties des collectivités locales
- Le droit à la sécurité alimentaire et de l’environnement
- …
4. Ces lois fondamentales clairement rédigées sont votées, amendées, tous les 5 ans par le peuple. A l’expérience l’exécutif ne peut plus être le législatif.
Elles font l’objet d’un débat public et politique pendant plusieurs mois sur un projet initial. Les représentants politiques, syndicaux, associatifs y contribuent. Le député, dans sa circonscription où il a été élu à la proportionnelle, participe aux débats. Il transmet à l’Assemblée Nationale les remarques et opinions formulées. Le gouvernement rédige les lois qui sont soumises au vote populaire. Car le dernier mot appartient aux citoyens.
Elles s’appliquent à tous. Les députés votent les décrets d’application pour les faire respecter. Ils contrôlent les préfets représentants de l’Etat pour l’application des lois en liaison avec les commissions ministérielles.
En cas de rejet d’une ou plusieurs lois par la souveraineté populaire, le gouvernement démissionne. L’Assemblée Nationale nomme un nouveau gouvernement.
5. Les directions des entreprises publiques.
La mission du secteur public et nationalisé s’inscrit dans l’application des lois fondamentales. Le conseil d’administration dirige.
Celui-ci est constitué de :
- représentants du ou des ministères concernés ( 1/4 )
- députés (1/4 )
- des membres du comité d’établissement, représentants syndicaux élus ( 1/4 )
- des représentants des usagers ( 1/4 )
Le directeur est élu parmi les membres du conseil d’administration pour 5 ans. Les représentants des usagers sont élus par les usagers tous les 5 ans. Les membres du comité d’établissement sont élus par les salariés de l’établissement tous les 5 ans. Les salariés peuvent à tout moment remplacer leurs représentants.
Le directeur ne peut être remplacé que par le conseil d’administration.
6. Les coopérations entre des nations souveraines
Après le vote des Français ( mais également celui des Néerlandais), la constitution européenne doit être définitivement abandonnée. De plus, conformément à ce que déclaraient les promoteurs de ce texte («il reprenait et fusionnait en un seul traité, l’ensemble des textes mis en œuvre depuis l’origine de la construction/intégration européenne »), nous considérons les règles européennes comme caduques sur le plan politique. La mise en place d’un marché unique, l’obligation de mise en concurrence de la plupart des activités économiques, le respect de critères budgétaires détruisant la solidarité dans les différents pays (etc…) ne doivent plus être considérées comme intangibles. Le respect de la volonté populaire impose cette évidence.
Conclusion
Le champ des propositions «utopiques » évoquées dans ce document est au coeur de tous les affrontements d’aujourd’hui entre le capital et le travail. Pour ne pas retomber dans le piège de l’alternance il est en effet indispensable d’opérer des changements majeurs dans nos institutions. Evidemment, les idées émises dans ce texte ne sont que des pistes proposées à la réflexion et au débat des acteurs du mouvement social afin que ces derniers les discutent, les enrichissent et même les contredisent. En fait, il s’agit de travailler à l’élaboration d’un cahier de doléances, d’exigences politiques propre à rendre la parole au peuple et à celles et à ceux qui produisent les richesses et qui devraient avoir le droit de décider de leur répartition ;