Les faits - Alors que son opinion publique rechigne, Angela Merkel a assuré, la semaine dernière à Bruxelles, la Commission européenne du soutien de l’Allemagne dans les négociations engagées avec Washington sur un vaste accord de libre-échange. La chancelière pousse à une conclusion à la fin de l’année et réclame seulement une clarification du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats.
Bruxelles est en train d’y perdre son allemand. En dépit de tous ses efforts d’explication, l’opposition à l’accord de partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (TTIP) que négocient les Etats-Unis et l’Union européenne depuis l’été 2013 ne cesse de gagner du terrain dans les opinions publiques en Allemagne, en Autriche et dans une moindre mesure au Luxembourg.
Outre-Rhin, les Verts, les eurocritiques de l’AfD et la gauche radicale Die Linke se trouvent en pointe contre le TTIP, sur la traditionnelle ligne anti-mondialisation. «En fait, l’Union européenne et les Etats-Unis cherchent à créer un marché commun. L’idée n’est pas d’harmoniser mais de niveler par le bas en maintenant les disparités entre les pays», accuse ainsi Helmut Scholz, député européen de Die Linke.
Mais le doute a aussi gagné la moitié des sympathisants de la CDU/CSU, les partis frères de la droite chrétienne et conservatrice, du SPD (socialiste) et du FDP (libéral). Résultat, seuls 39% des Allemands soutiennent aujourd’hui le projet, contre 48% en octobre dernier. En Autriche, les opposants (56%) font aussi la course en tête dans les sondages.
«Avons-nous communiqué comme il fallait ? Qu’est ce qui a cloché ?», s’interroge-t-on dans les couloirs de la Commission européenne. «Jusque-là les esprits s’échauffaient sur des textes finis. Là, les négociations ne font que commencer», continue la même source. Les responsables de la direction commerce en charge du dossier assurent pourtant ne pas ménager leur peine pour expliquer les enjeux de ce qui sera le plus gros accord de libre-échange au monde. «Nous ne négocions plus l’élimination de barrières tarifaires mais les obstacles qui sont derrière. C’est-à-dire les régulations et standards. Ce qui ouvre la porte aux craintes des consommateurs», reconnaît l’un des responsables.
«D’un côté, cette contestation est positive car cela nous oblige à être plus transparents et à multiplier les contacts avec la société civile. Mais il faut que les débats portent sur des faits et non des malentendus», recadre Cecilia Malmström, la nouvelle commissaire au commerce, encore interloquée par certains de ses entretiens. «J’ai rencontré des opposants farouches à qui j’ai demandé s’ils accepteraient le TTIP si on arrivait à calmer toutes leurs inquiétudes: ils m’ont répondu non en expliquant être contre le libre-échange et contre les Etats-Unis !».
En Allemagne, tout s’est ligué contre le partenariat transatlantique. Les affaires se sont succédées pour nourrir les arguments de ses détracteurs. Il y a d’abord eu la décision du groupe énergétique suédois Vatenfall de poursuivre Berlin après sa décision d’abandonner le nucléaire, ce qui l’a contraint à fermer deux centrales. L’ironie veut que le plaignant ait décidé de recourir à un tribunal d’arbitrage international inclus dans le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats… mis en place il y a une cinquantaine d’années à l’initiative de l’Allemagne.
Les révélations d’Edward Snowden sur les écoutes téléphoniques réalisées à grande échelle par l’agence de sécurité nationale (NSA) des Etats-Unis dont Angela Merkel a notamment été victime ont ensuite empiré les choses. «L’anti-américanisme est au plus haut», déplore-t-on à Bruxelles où l’on relève que les négociations commerciales menées avec le Japon et sur les mêmes sujets ne suscitent aucune réaction.
Bruxelles se trouve ainsi confrontée à des groupes de pression parfaitement organisés qui font le siège du Parlement européen. «Jusqu’à ces dernières années, siéger à la commission sur le commerce n’était pas très sexy mais aujourd’hui tout le monde veut y participer et nous sommes très sollicités», ironise Emma McClarkin, députée européenne britannique du parti conservateur. «On nous pousse à imposer des lignes rouges mais ce n’est pas une bonne idée car dans tout type de négociation, il faut de l’oxygène», relève son homologue néerlandaise Marietje Schaake, membre de l’alliance des démocrates et des libéraux.
La Commission soigne d’autant plus les parlementaires européens que les pouvoirs de ces derniers sont aujourd’hui plus importants. Tous les documents présentés aux Etats membres sur les négociations sont transmis aux parlementaires intéressés en suivant des procédures variant selon la sensibilité des sujets. Certaines fuites peuvent, en effet, s’avérer préjudiciables.
Engagées par ailleurs dans une vingtaine de négociations d’accord de libre-échange (Maroc, Vietnam, etc.), les équipes de la direction du commerce (620 personnes) se trouvent sous pression. «Nous ne pouvons participer à tous les débats sur le sujet ! Cécilia Malmström passe plus de temps à défendre le TTIP dans les Etats membres qu’à négocier avec les Américains!», déplore-t-on dans son entourage. En souhaitant que les gouvernements européens assument leurs responsabilités politiques et mouillent un peu plus leurs chemises pour défendre les négociations. Ce qu’ils se gardent bien de faire pour l’instant, à l'image de la France.