Qui est Ioulia Timochenko ? C’est l’espèce de princesse Leia que vous avez sûrement vu une fois, blonde est actuellement en fauteuil roulant (pour hernie discale pas soignée). Petit résumé du parcours…
Diplômée d’économie de la faculté de Dnipropetrovsk (la troisième ville d’Ukraine), Ioulia Timochenko n’a pas mis longtemps à assimiler toutes les subtilités de la finance internationale. Un an après l’indépendance du pays, elle crée à Chypre, le 8 octobre 1992, la société Somolli Enterprises, qui va rapidement accueillir 140 millions de dollars.
La manne provient de United Energy Systems of Ukraine, une compagnie justement dirigée par Ioulia Timochenko qui achète du gaz à la Russie et le distribue dans la région de Dnipropetrovsk. Elle a été placée à ce poste stratégique par Pavel Lazarenko, ministre de l’Énergie, puis Premier ministre de l’Ukraine en 1996-1997.
Lazarenko et Timochenko
Ioulia Timochenko, la trentaine, est alors brune, sans ses tresses typiques.
“Elle a été relookée depuis par des conseillers occidentaux, sans doute des Américains, pour jouer les paysannes ukrainiennes”, constate Emilia Nazarenko, correspondante à Genève du quotidien ukrainien Den. Avant de devenir l’égérie de la révolution Orange, Ioulia Timochenko penchait davantage pour le grand voisin russe.
Quant à Pavel Lazarenko, soupçonné de détournements de fonds, en raison d’une réforme dont le principal bénéficiaire (près de 4 milliards de dollars ) fut sa compagnie et celle de Timochenko, il préfère prendre la fuite. En décembre 1998, il est arrêté à Bâle (Suisse) en possession d’un passeport… panaméen. Le juge d’instruction genevois Laurent Kasper-Ansermet, en charge du dossier, est contraint de jouer au Petit Poucet pour tenter de localiser les fonds détournés. L’argent part de Chypre vers quatre cantons suisses, Fribourg, Genève, Vaud et Zurich.
L’un des comptes bancaires concernés a été utilisé pour plus de 2 500 opérations ! Les millions se dispersent ensuite en direction de la Pologne, des États-Unis et de la petite île d’Antigua, dans les Caraïbes. Finalement, Pavel Lazarenko devient en 2000 le premier homme politique condamné en Suisse pour “blanchiment” ! Arrêté ensuite aux États-Unis, l’ancien Premier ministre écope de 9 ans de prison en 2006 en Californie , également pour “blanchiment” et “extorsion”. Au départ, Ioulia Timochenko apparaît dans la procédure américaine comme “co-conspiratrice”, mais, fort curieusement, elle est ensuite blanchie.
En 1996, l’ambitieuse femme d’affaires, qui est devenue l’un des premières fortunes d’Ukraine, se lance en politique, fonde bientôt son parti “La Patrie”, qui sera le socle au Parlement de la coalition qu’elle baptisera modestement “le Bloc Timochenko” – une coalition de partis de centre droit. Avec ses robes moulantes, ses mini-jupes et ses talons aiguilles, elle fait sensation dans un monde politique d’hommes en costumes sombres. Rompue aux techniques modernes de communication comme aux bonnes vielles méthodes de la corruption, elle connait une rapide ascension.
En 1999, elle devient ministre de l’énergie du président Léonid Koutchma, qui, assailli de toutes parts notamment pour corruption, finira dans les bras de Moscou après avoir fait des œillades à l’Ouest. Elle est congédiée en 2001 par Koutchma en raison de ses ambitions et de son succès, car elle a réussi à reformer le très stratégique secteur énergétique, selon ses partisans. Et parce que l’on a découvert de graves fraudes, selon ses détracteurs.
Accusée de “contrebande et de falsification de documents” pour avoir importé frauduleusement du gaz russe en 1996, lorsqu’elle était présidente des Systèmes énergétiques unis d’Ukraine, elle est arrêtée et, déjà, emprisonné, 42 jours. Lorsque la fortune politique lui sourira de nouveau, les charges seront abandonnées.
Rejetée par le système, cette femme pourtant originaire de Dnipropetrovsk, une ville russophone et russifié du sud de l’Ukraine, se lance alors à corps perdu dans l’opposition “nationaliste”, avec la même détermination qu’elle a mis à construire son empire gazier. L’oligarque enrichie dans des conditions douteuses, au féroce appétit de pouvoir et d’argent, compense son manque de légitimité populaire par un vibrant populisme.
Avec sa fortune, elle sait aussi acheter des fidélités. Lors de la révolution orange de 2004 qui prive (déjà…) Viktor Ianoukovitch de sa victoire au deuxième tour de la présidentielle, elle est aux avant-postes, enflamme les foules par ses discours radicaux et bien balancé. Elle est belle, charismatique, énergique, bonne oratrice et courageuse. La paysanne glamour s’est mué en “Dame de fer”.
Elle devient “la Timochenka”. Nommée premier ministre après la révolution orange, “l’ingénieur-économiste” mais de type post-soviétique gère le pays de façon assez désastreuse, menant à la large victoire-revanche de Viktor Ianoukovitch en 2010 dans un pays exsangue.
A en croire les télégrammes de l’ambassade américaine à Kiev, révélés par Wikileaks, son bilan se résume alors en ces termes : paralysie politique, gabegie, économie étouffée par la corruption. La guerre intestine pour le pouvoir avec le président Ioutchenko, l’autre “héros” de la révolution orange, paralyse alors toute réforme.
La corruption fait des ravages, le pays s’endette, la production décline. Les partisans des réformes sont écartés. Comme souvent, Ioulia Timochenko joue double jeu: elle est soutenue en sous-main par les oligarques qu’elle qualifie publiquement de “cancer”. Assoiffée de pouvoir, elle veut tout contrôler mais, à en croire le télégramme de l’ambassade US, “manque de compréhension élémentaire des fondamentaux de l’économie.”
Ses compétences sont gravement mises en causes. Son ascension, sa fortune et celle de son parti doivent beaucoup aux sombres manœuvres plus frauduleuses qui sont le quotidien de la transition post-soviétique.
A la présidentielle de 2010, elle échoue loin derrière Viktor Ianoukovitch.
On note au passage l’incroyable déchirement du pays, un candidat faisant 90 % à un bout du pays, et 10 % à l’autre !
C’est la vendetta. En 2011, elle est jugé et condamnée à sept ans de prison pour “abus de pouvoir”, pour avoir signé comme premier ministre en 2009 un contrat gazier très avantageux pour la Russie.
Accusé d’être pro-russe et corrompu, Ianoukovitch se venge et neutralise son adversaire en l’accusant d’avoir vendu le pays à Moscou. Certains analystes estiment qu’en fait Ianoukovitch, qui passe, à tort, pour un pro-russe sans nuance, a aussi voulu se venger de la lune de miel entre Ioulia Timochenko et Vladimir Poutine.
Car pour la présidentielle de 2010, le Kremlin aurait en fait soutenu Timochenko contre son poulain naturel Ianoukovitch. Comme souvent chez les politiciens ukrainiens ballotés au gré de la crise entre les brutales pressions russes et les promesses d’Européens velléitaires, tout se joue à front renversé.
La “pro-européenne” Timochenko déclare alors que la Russie est un “partenaire stratégique”, tandis que le “pro-russe” Ianoukovitch se prononce désormais pour une adhésion à l’Union européenne… Sous la pression de la Russie, qui n’a pas hésité à couper le gaz en plein hiver, la dame aux tresses, “pro-occidentale” mais qui a fait fortune avec la Russie, a commencé à balancer vers l’Est pour garder le pouvoir.
C’est d’ailleurs à ce moment là que la première ministre ukrainienne a vu les poursuites et le mandat d’arrêt international lancés à son encontre par les autorités russes pour corruption, classés sans suite. Quand il le faut, le “Dame de fer” ukrainienne sait aussi plier.
Les Occidentaux vont se mobiliser pour la faire sortir de prison, mais elle attendra EuroMaidan. Cependant sa libération ne doit pas faire illusion. Elle reste toujours très contestée. Fort peu d’Ukrainiens voteraient aujourd’hui pour elle”, assure la journaliste Emilia Nazarenko.
Les ennuis de La princesse du gaz, pour reprendre le titre du livre du journaliste allemand Frank Schumann, paru en 2013, ne sont pas pour autant terminés. Un cabinet d’avocats londonien mène actuellement des investigations, notamment en Suisse et aux États-Unis, pour retrouver les centaines de millions de dollars qu’aurait cachés Ioulia Timochenko.
Tymochenko et Thatcher
Je dis ça, je dis rien… Le 14 décembre 2010, Ioulia Tymochenko est assignée à résidence dans le cadre d’une « enquête pour abus de pouvoir aggravé » et a interdiction de quitter Kiev. Elle est accusée de mauvaise gestion des fonds publics : 2,3 milliards de hryvnias (environ 200 M€), issus de la vente de quotas d’émission de CO2 en 2009, auraient été utilisés pour financer le système de retraites.
Son procès pour abus de pouvoir lors de la signature d’un accord gazier avec la Russie jugé préjudiciable à l’Ukraine s’ouvre le 24 juin 2011. Le 11 octobre, elle est condamnée à sept ans de prison ferme.
Dans les jours qui suivent sa condamnation pour abus de pouvoir, quatre nouvelles enquêtes criminelles sont ouvertes contre Ioulia Tymochneko pour des délits financiers. Elle est inculpée pour tentative de détournement de 405 millions de dollars, puis à nouveau le 10 novembre pour dissimulation de revenus en devises à hauteur de plus 165 millions de dollars (soit 121 millions d’euros), détournement de fonds budgétaires, et évasion fiscale à hauteur de 47 millions de hryvnias (soit 4,3 millions d’euros). Les faits allégués concernent les activités de son entreprise de distribution de gaz Systèmes énergétiques unis d’Ukraine (uk) entre 1996 et 1998. Ces enquêtes avaient été ouvertes au début des années 2000 et abandonnées en 2005. Elle est formellement arrêtée dans sa cellule de prison le 8 décembre 2011.
En avril 2012, un procès est ouvert pour détournement de fonds publics et fraude fiscale. Elle encourt douze années de prison et l’obligation de rembourser 19,5 millions de hryvnias. L’accusée n’est pas présente lors de l’audience préliminaire en raison de son état de santé. L’Union européenne et les États-Unis contestent un procès qui est selon eux organisé pour des raisons politiques. Le procès est suspendu le 28 avril, le juge estimant qu’il est impossible de juger Ioulia Tymochenko en son absence. Sa reprise est plusieurs fois reportée en raison de l’hospitalisation de la prévenue.
En raison de l’absence de corps du délit, l’affaire des spéculations financières au sein du groupe Systèmes énergétiques unis d’Ukraine est close le 28 février 2014 par un tribunal de Kiev.
En juin 2012, le parquet de Kiev annonce que Ioulia Tymochenko va être inculpée pour le meurtre du député Evgueni Chtcherban en 1996, sa femme et deux autres personnes, à l’époque où Lazarenko et Timochenko construisaient un système de monopole de l’importation du gaz. Selon le procureur adjoint Renat Kouzmine, la société de la victime était en concurrence avec les Systèmes énergétiques unis d’Ukraine (uk) que dirigeait la prévenue, et il existe suffisamment de preuves pour l’inculper. Ces allégations sont soutenues par Ruslan, le fils de M. Shcherban, qui a survécu à l’assassinat de ses parents. Dans une conférence de presse, il a déclaré avoir remis des documents au bureau du procureur général impliquant les deux anciens premiers ministres (Lazarenko et Timochenko) dans les meurtres.
La complicité de Timochenko est aussi envisagée dans deux autres assassinats : l’homme d’affaires Alexander Momot (tué en 1996, quelques mois avant Shcherban) et l’ancien gouverneur de la Banque nationale d’Ukraine, Vadym Hetman (tué en 1998)
Le samedi 22 février 2014, à 12h08, Tourtchinov, le bras droit de Timochenko, est élu président du Parlement ukrainien. Trente minutes plus tard, comme s’il s’agissait de l’affaire la plus urgente à régler dans un pays en pleine insurrection, le parlement vote la libération « immédiate » de Timochenko – mais qui aurait dû être ratifié par le président Viktor Ianoukovytch. À titre de comparaison, ce n’est qu’à 16h19 que ce même parlement votera la destitution de Ianoukovytch
Quelques heures après sa libération, elle refuse de retrouver les fonctions de Premier ministre. Poste qui sera confié à un autre de ses proches Arrseni Iatseniouk…
En 2012, la Ligue Anti-diffamation (ADL), une des principales organisations juives américaines, a dénoncé l’alliance parlementaire signée par Yulia Tymoshenko avec le parti d’extrême-droite Svoboda, bien connu pour ses prises de positions antisémites et antisionistes.
Le président de l’ADL, Abraham H. Foxman, a à l’époque critiqué le cynisme politique de Timochenko, qui en toute connaissance de cause du discours antisémite du Svoboda, a légitimé par cette alliance ce parti d’extrême-droite.
Svoboda, le parti national-socialiste d’Ukraine, fondé en 1991, s’est réinventé une identité en 2004, abandonnant son iconographie nazie dans l’espoir de paraître plus modéré. Toutefois, son discours antisémite et antisioniste reste un pilier majeur de sa politiuqe. Le parti est mené par Oleh Tyahnybok qui affirme régulièrement qu’« une mafia juive moscovite » dirige l’Ukraine.
En 2013, le parti Batkivshchyna (Patrie) de Yulia Timochenko, l’UDAR, le parti du boxeur Vitaly Klitschko et Svoboda se sont associés, entre autre, contre un projet de loi présenté par le Parti des régions (PdR) du président déchu Viktor Ianoukovitch, visant à interdire « les discours haineux et les expressions dégradantes ». Ce projet de loi visait à prohiber des mots très insultants comme « youpin », « sale juif » (zhid en ukrainien) et « Russkof » qui ont la faveur des partisans de Svoboda.
À de nombreuses reprises, Viktor Ianoukovitch a demandé au parti Batkivshchina de Timochenko et à l’UDAR de se dissocier publiquement de Svoboda. En vain.
Eric Hazan – © Le Monde Juif .info
Le leak du 24 mars Merci à Kikegaard pour la traduction sur son blog , je reprends sa belle introduction :
Dans une conversation fuitée publiée aujourd’hui, Ioulia Timochenko exprime sa rage la plus profonde contre la Russie en des termes qui rendent plus que rassurant son éloignement actuel des instances dirigeantes de l’Ukraine…
La conversation, probablement révélée par les mêmes personnes ayant révélé la teneur des discussions de Victoria Nuland ou de Catherine Ashton, a été authentifiée par l’intéressée elle même dans un tweet dans lequel elle fait “coucou au FSB” (en souriant) et où elle conteste une phrase (j’y reviendrai). La discussion aurait eu lieu le 18 mars, le jour du discours de Vladimir Poutine après la proclamation des résultats du référendum en Crimée. Le dialogue se tient avec le député du Parti des Régions Nestor Shufrych (qui n’a pas fait quitté le groupe parlementaire). Certains ukrainiens risquent de ne pas aimer qu’il se présente comme étant “plus qu’un allié” pour Timochenko…
Traduction de la conversation :
Nestor Shufrych : “Concernant tout ce dossier criméen, je te le dis, je suis juste sous le choc. Je parlais à une de nos connaissance aujourd’hui, et il était en larmes. J’ai demandé, qu’est ce que nous allons faire maintenant ?
Ioulia Timochenko : Je suis prête à m’emparer d’une mitrailleuse et tirer une balle dans la tête de ses fils de p**** [le terme utilisé est "Katsaps"]
N. S. : Je lui ait parlé hier, si un conflit armé éclatait moi et mon frère ainé, en tant qu’officiers de réserve, nous prendrons nos armes et irons défendre notre pays.
I.T : Cela dépasse vraiment toutes les limites. Il est temps de prendre nos armes et d’aller tuer ces maudits russes ainsi que leur leader. (N.S. manifeste son accord). Je regrette de ne pas être la actuellement et de n’avoir pas été en charge du processus. Il n’y aurait eu aucune putain de manière pour qu’ils obtiennent la Crimée.
N.S : J’y pensais également en réalité. Si tu avais été là cela ne serait pas arrivé. Mais de toute manière, nous n’avions aucune force potentielle. Tu sais, la chose la plus offensante c’était ça.
I.T : J’aurai trouvé un moyen de tuer ces connards. J’espère que je serai capable de d’impliquer toutes mes relations. Et j’utiliserai tous mes moyens pour faire se soulever le monde entier afin qu’il n’y ait même plus un champ brulé en Russie.
N.S : Bon, je suis plus que ton simple allié ici. Aujourd’hui, nous avons eu une rencontre entre leaders des factions (parlementaires) dans la matinée, après laquelle j’ai parlé à Viktor (probablement Tourchinov). Il a demandé : “Que devrions nous faire maintenant avec les 8 millions de russes qui sont restés en Ukraine ? Ce sont des parias !”
I.T : Ils doivent être détruits avec des armes nucléaires [Cette phrase - et celle là seule est contestée par Timochenko qui y voit un montage]
N.S : Je ne vais pas te contredire ici, parce que ce qui s’est passé est absolument inacceptable. Mais il y a une autre option, certaines de leurs actions violent clairement le droit et nous avons à prendre des mesures à un niveau international.
I.T : Nous allons porter cela devant la Cour Pénale Internationale de La Haye.
Commentaires :
Ceux qui croyaient voir en Timochenko une personnalité capable de faire se rapprocher les positions russes et ukrainiennes se sont lourdement trompés. Le langage employé, même dans une conversation privée, est particulièrement mal venu au vu des répercussions que la fuite de cette conversation pourra avoir chez les russes, qui seront d’autant plus soudés avec leurs leaders, ou les ukrainiens russophones. Timochenko reconnait avoir tenue cette conversation. Mais elle nie avoir tenu la phrase : “Ils doivent être détruits avec des armes nucléaires” (en parlant des “russes d’Ukraine”, elle prétend avoir dit “Ils sont ukrainiens” (dans ce cas elle leur nierait toute spécificité ethnique ce qui est justement ce que les russophones reprochent aux leaders ukrainiens. Elle ment probablement au vu de la réponse fournie par son interlocuteur – pourquoi répondrait-il ainsi à une telle phrase – et du reste de la conversation. Après avoir affirmé qu’il ne resterait rien de la Russie, exterminer les russes ukrainiens avec des armes nucléaires n’aurait été qu’une injure de plus.