La situation militaire continue d’évoluer en faveur des insurgés, comme le décrivent maintenant des sources multiples, tant occidentales qu’insurgées[1]. La situation militaire peut s’interpréter comme suit :
(a) Au sud de DONETSK, les forces de Kiev sont à l’évidence en pleine déroute. Un encerclement considérable est en train d’avoir lieu. Les unités encerclées n’auront probablement pas d’autre choix que la destruction ou se rendre en Russie après avoir été désarmées. Un correspondant estime entre 4000 et 5000 hommes les forces encerclées, avec un matériel considérable. Vers la côte de la mer d’Azov, la panique qui a frappé les troupes de Kiev a conduit les insurgés à avancer très vite et à prendre le contrôle de Novoazovsk. Le manque d’effectif chez les insurgés limite néanmoins les gains territoriaux et il est douteux, à l’heure actuelle, qu’ils aient les forces de prendre Mariupol, sauf si cette ville était abandonnée par les forces de Kiev. Cependant, des opérations semblent être conduites au nord de Volnobakha, sur la route allant de Donetsk à Mariupol.
Carte 1
(b) Sur la partie nord du front, les insurgés ont encerclé plusieurs unités qui attaquaient Lugansk par le sud et semblent avoir liquidé au moins l’une des « poches ». Ceci aurait pour effet de rouvrir la grande route qui va de Lugansk à la frontière russe, en passant par Krasniy Luch et Antracit. Différentes poches se sont ainsi constituées, avec un total de 3000 à 5000 hommes. Globalement, c’est probablement 10 000 soldats de Kiev (armée régulière et Garde Nationale) qui sont encerclés et qui devront se rendre d’ici quelques jours. Les insurgés conduisent actuellement des opérations offensives vers Lisichansk, à l’Est mais à la hauteur de Slavyansk.
Carte 2
Au total, entre les forces encerclées et les unités qui ont été détruites dans les combats de ces derniers jours, les forces de Kiev auraient perdu environ 12000 à 15000 hommes, soit le tiers des effectifs engagés dans les opérations contre les insurgés. Des quantités importantes de matériel militaire ont été saisies. C’est une victoire majeure pour ces derniers, dont les conséquences politiques sont considérables.
- (1) Il est clair que l’insurrection ne sera pas écrasée militairement. De ce point de vue, l’insurrection a gagné. Kiev ne dispose plus des réserves suffisantes pour reprendre l’offensive. Tout au plus les forces de Kiev peuvent espérer stabiliser le front autour d’un « demi-carré » dont le flanc ouest irait de Mariupol à Slavyansk et le flanc nord de Slavyansk à la frontière russe. Cependant, pour cela, elles devront surmonter la grave crise de commandement et de crédibilité qu’elles connaissent aujourd’hui.
- (2) La question d’un cessez-le-feu se pose, et ce dernier sera sans doute rendu possible par l’épuisement progressif des forces insurgées. Si ces dernières sont aujourd’hui à l’offensive, elles seront contraintes de s’arrêter par manque d’effectifs et manque de moyens d’ici au début du mois de septembre.
- (3) Si un cessez-le-feu s’impose, ne serait-ce que pour des raisons humanitaires, la question du devenir politique de l’entité constituée par les insurgés (Novorossiya) se pose. Après les combats de l’été, et les attaques systématiques dont les populations civiles ont été l’objet, l’hypothèse fédérale est désormais obsolète. La constitution d’une ou de plusieurs provinces autonomes, formellement reconnaissant le gouvernement de Kiev mais, dans la pratique, établissant elles-mêmes leurs propres lois et leurs propres accords commerciaux, semble maintenant la solution la plus raisonnable. Cela ne veut, hélas, pas dire qu’elle sera celle qui prévaudra.
- (4) On peut craindre que s’installe une situation « ni paix, ni guerre », avec des incidents constants sur la ligne de contact entre les forces de Kiev et celles des insurgés. Cette situation ferait courir le risque d’une reprise de l’offensive de Kiev ou de la part des insurgés. Il faudrait, alors, recourir à des forces d’interposition, qui soient acceptables par l’une et l’autre des parties en présence. Compte tenu de l’engagement des pays de l’UE au profit de Kiev, il est peu probable que cette force d’interposition puisse être européenne. Elle devra être trouvée, sous l’autorité des Nations Unies, au sein des pays émergents (Brésil, Chine, Inde).
- (5) Une telle évolution serait une défait politique et symbolique majeure des autorités de l’Union Européenne, obligées d’accepter que des puissances non-européennes viennent maintenir la paix en Europe. Ce serait fort symbolique de l’effacement politique progressif de l’UE sur le continent européen.