Joyeux anniversaire...
« Ce que nous devons faire, c’est faciliter les délocalisations au sein de l'Europe ». Ce programme en forme d’aveu, c’est Danuta Hubner qui l’avait dévoilé en février 2005. Cette responsable politique polonaise était à l’époque Commissaire européen à la politique régionale.
Le moins que l’on puisse dire est que ses vœux ont été exaucés. Ce 1ermai, cela fera dix ans que huit pays d’Europe centrale (plus Malte et Chypre) ont été « arrimés » à l’Union européenne. Depuis lors, pas un mois ne se passe sans que ne s’allonge la liste des usines et emplois déportés à l’Est : industrie automobile, équipementiers, électroménager, jusqu’à certaines activités informatiques… de la SNCF. Peu de branches sont épargnées. La Commission européenne entend même renforcer la libéralisation du transport routier, au moment où certains gros transporteurs français exploitent déjà des chauffeurs de l’Est à « bas coût ».
Les 330 salariés de l’usine Seita de Carquefou (Loire-Atlantique) vont certainement fêter ce dixième anniversaire : le 15 avril, ils se sont vu offrir l’annonce de la fermeture de leur site. Désormais, les Gauloises blondes seront fabriquées à Radom, en Pologne. Le groupe britannique Imperial Tobacco, à qui appartient depuis 2008 cette filiale issue de l’ex-établissement public de tabac Seita privatisé en 1995, veut supprimer 500 emplois en France (ainsi que 600 autres en Grande-Bretagne).
Sur place, syndicats et personnel dénoncent cette décision condamnant des sites modernes et rentables. Mais, au regard du prix du travail en Pologne, il n’y a évidemment pas photo. A Paris cependant, ni la CGT confédérale, ni ce qu’il est convenu de nommer « la gauche de la gauche », n’évoquent la responsabilité de l’UE dans ce crime social. La libre circulation des capitaux constitue pourtant le fondement de cette dernière. Un silence qui s’explique peut-être par la peur d’être taxées de « populisme ». Probablement aussi parce que cela irait à l’encontre de la doxa selon laquelle ce sont juste les « dérives » d’une Europe « trop libérale » qu’il conviendrait de corriger.
Or la franchise de Mme Hubner le rappelle cruellement : l’intégration européenne a été, dès le départ, conçue pour accroitre la liberté de manœuvre du capital. Et, logiquement, c’est également ce qui a fondé l’élargissement à l’Est, dont les conséquences catastrophiques étaient parfaitement prévisibles (cf. BRN du 29/04/2004).
Cet élargissement est une arme qui comporte un deuxième tranchant, symétrique aux délocalisations d’usines : l’importation de main d’œuvre à bas prix en provenance des pays de l’Est, qui permet d’exercer une pression accrue sur les rémunérations et conditions de travail dans des pays tels que la France ou l’Allemagne. C’est en particulier l’objet de la nouvelle directive concernant les « travailleurs détachés » (cf. BRN du 24/02/14), qui vient d’être approuvée par l’europarlement le 16 avril.
Officiellement, celle-ci vise à « mieux protéger » ces derniers. En réalité, il s’agit de dynamiser la « libre circulation de la main d’œuvre » au sein de l’UE – une « mobilité » vantée par Bruxelles comme remède d’avenir au chômage. Pour sa part, la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), Bernadette Ségol, déplore certes que le compromis « ne répond(e) pas à nos attentes », mais salue cependant « les efforts consentis par certains gouvernements pour prendre en compte nos exigences et progresser vers une Europe plus sociale ». On pense à la blague qui circulait naguère à Bruxelles : si on rétablit l’esclavage, la CES demandera à négocier le poids des chaînes…
Quant aux partisans d’une « autre Europe », il semble leur avoir échappé que la libre circulation des capitaux et la libre circulation des travailleurs sont les deux faces d’une même médaille, puisqu’ils accusent la première mais se refusent à mettre en cause la seconde. De même qu’ils n’osent remettre en question le principe même de l’élargissement.
Il faudra bien, pourtant, faire le bilan d’une décennie de dumping social et de désindustrialisation. Sans même évoquer la criminalité organisée en provenance des mafias de l’Est, qui a fait un bond depuis l’ouverture des frontières orientales. Il est vrai qu’entre prédation économique et crapuleuse, la distinction n’est pas toujours très nette…
VANESSA IKONOMOFF