Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Ex-vitrine du PGE, Die Linke, a du plomb dans l'aile. Non seulement il n'arrive toujours pas à incarner une alternative à la social-démocratie traditionnelle, mais sa glissade droitière est de plus en plus manifeste, même sur un point central de son identité : la lutte pour la paix.
Au-delà des communistes, pour les progressistes, les militants de gauche allemands, le combat pour la paix est fondamental dans un pays où le militarisme, l'impérialisme, a toujours accompagné les pires formes de domination du capital, avec le nazisme comme forme suprême.
« Die Linke » a bien liquidé la majeure partie de l'héritage du mouvement communiste en Allemagne au profit d'une conception institutionnelle, réformiste, prompte aux alliances avec la social-démocratie, à l'adhésion à l'UE capitaliste.
Mais le combat contre la guerre, contre l'impérialisme, il semblait avoir subsisté jusque-là.
Or, quand le gouvernement allemand prend un tournant militariste, les interventions de laBundeswehr (armée allemande) se multiplient en Afrique, que la chancellerie allemande se fait active sur le Front de l'est ukrainien, les résistances de « Die Linke » à l'appel du clairon tombent.
Certes, « Die Linke » n'est pas strictement homogène sur cette question identitaire. Des fractions – essentiellement liés à des députés, dans ce parti étroitement parlementaire – se dessinent.
Un député de Linke au cœur de la reformulation de la politique étrangère militariste allemande
Le jeune loup Stefan Liebich fait partie du courant « réformateur », l'aile-droite favorable à une ré-orientation de la politique de Linke vers un accompagnement du tournant militariste de la RFA. Député, il est membre pour Linke de la Commission aux Affaires étrangères du Bundestag.
Il est par ailleurs un membre éminent de diverses ONG spécialisées dans « l'aide au développement », « les missions humanitaires », comme l'ONG « Help », liée indirectement à la chancellerie allemande mais aussi « Atlantik-Brücke » (Pont de l'Atlantique) favorisant le développement de l’atlantisme à travers les échanges entre élites américaines et allemandes.
Il y a deux semaines de cela, Liebich, a participé avec le député vert Jurgen Trittin et la SPD Hildegaard Buhlman à une rencontre visant à dresser « les perspectives d'une politique commune pour la paix », dont est sorti selon Liebich la « plausibilité » d'un accord entre les trois parti(e)s, dans l'optique d'un futur accord gouvernemental.
Liebich avait déjà contribué à la rédaction d'un texte à l'automne « Politique étrangère de Gauche : perspectives de réforme » qui avançait l'idée dans le parti de gauche de « nouvelles responsabilités internationales » pour l'Allemagne, avec un soutien à des « interventions humanitaires » à l'étranger et renforcement du « partenariat trans-atlantique » avec les États-Unis.
En janvier encore, Liebich a signé un document avec la députée verte Brugger, encourageant le développement de missions militaires allemandes à l'étranger « sous mandat international » dans une optique « humanitaire ». L'humain d'abord, à coup de bombes !
Liebich avait également soutenu le déploiement de la Bundeswehr en Méditerranée en avril dernier.
Une fraction des députés de Linke prête à soutenir une mission de la Bundeswehr à l'étranger, en Syrie !
Car les « réformateurs » ne se sont pas arrêtés aux discours, ils sont passés aux actes en avril dernier, levant un tabou de Die Linke : la question du soutien à des interventions de la Bundeswehr à l'étranger.
Ces derniers mois, l'armée allemande a accéléré la mise en œuvre de sa weltpolitik, sa politique mondiale, en venant en soutien de la France au Mali, en Centrafrique.
Elle a également acté le déploiement d'une mission militaire en Méditerranée. Une frégate avec à son bord 300 soldats censée assurer le désarmement des armes chimiques de la Syrie, en collaboration avec les États-Unis.
Usant du prétexte fallacieux de la menace des « armes chimiques », la nécessité d'une intervention humanitaire, Gregor Gysi – figure des « réformateurs », leader du PGE – avait tenté le coup de force en reniant un mot d'ordre fondateur de l'identité de Linke : « Pas de mission à l'étranger ».
Ce soutien déclaré aux manœuvres impérialistes en Syrie, à la politique belliciste de l'Allemagne, n'a pas emporté l'adhésion de la majorité des députés de « Die Linke » : 35 ont voté contre, 18 se sont abstenus et 5 ont voté pour cette mission à l'étranger, révélant une fracture à la tête du parti.
Ce n'est pas la première fois que sur la question de la paix, le parti se déchire.
Sur le soutien de la « flottille de la liberté » de solidarité avec Gaza en juin 2011, plusieurs députés de Linke avaient soutenu activement l'initiative … alors que Gysi, et une forte minorité de parlementaires dénonçaient une campagne anti-sémite, des agissements violents.
La direction de Linke avait alors proposé une motion interdisant la participation d'élus de Linke à la Flotille de la Liberté pour Gaza au nom de la lutte contre l' « anti-sémitisme ». 19 députés avaient refusé d'obéir à une telle résolution, 57 l'ont tout de même accepté
On se souvient que Gysi avait, lors du 60 ème anniversaire de l’État d’Israël, déclaré : « L’antisionisme ne peut, ou du moins ne peut plus, être une position défendable pour la gauche en général et pour le parti Die Linke en particulier ».
En mars 2012, Die Linke a même osé soutenir aux élections présidentielles Beate Klarsfeld, amie personnelle de Nicolas Sarkozy, connue pour sa défense zélée du sionisme, dans sa version la plus droitière, la plus brutalement colonialiste.
Divisions sur l'Ukraine : les « réformateurs » et Gysi en difficulté
Sur l'Ukraine, toutes les ambiguïtés délibérées, les renoncements patents, les calculs subtils de la ligne « réformatrice » sont apparus, mais n'ont pu être menés jusqu'au bout.
En effet, dans un premier temps, la direction de Linke sous la plume des centristes (de droite) Bernd Reixinger, Katja Kipping ainsi que Gregor Gysi a signé un communiqué, le 2 mars, avec une prise de position semblable à celle adoptée par le PGE.
Feignant de renvoyer dos à dos les deux belligérants, ce document lance un appel au gouvernement allemand, aux dirigeants de l'UE qui ont « un bon rôle à jouer » en faisant le pari de la diplomatie, tout en appelant le gouvernement de Kiev à « la désescalade », sans référence à la présence massive de fascistes à sa tête.
Cette position fut rapidement contestée par plusieurs députés, fidèles à certaines positions historiques « critiques » sur la paix de la formation de gauche.
Ce fut le cas notamment de Sevim Dagdelen et Sarah Wagenknecht qui ont pointé du doigt la présence de fascistes au gouvernement ukrainien, entrant en conflit violent notamment avec les députés Verts.
Cette fronde de l' « aile-gauche » de la fraction parlementaire de Linke a contraint le chef de groupe, Gregor Gysi, à ajuster le tir, révélant des interventions parlementaires, des sorties médiatiques plus critiques sur la politique occidentale, l'évolution du gouvernement ukrainien.
Son intervention au Parlement, le 13 juin, se révèle beaucoup plus équilibrée, critique envers le rôle de l'UE et de l'OTAN bien qu'il regrette surtout, dans une inspiration gorbatchevienne, qu'on n'intègre pas la Russie et l'Ukraine à une « maison commune européenne » (sic).
Cela n'a pas empêché Gysi, ainsi que la direction bi-céphale Rexinger/Kipping, à prendre publiquement leurs distances avec le député Linke Sevim Dagdelen qui avait osé dénoncer le 4 juin avec force l'hypocrisie des députés verts ainsi que du ministre social-démocrate des Affaires étrangères.
Il avait alors emprunté à Bertolt Brecht une citation fort à propos : « Celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n'est qu'un imbécile. Mais celui qui la connaît et la qualifie de mensonge, celui-là est un criminel ».
Car si Gysi est prêt à tout pour préserver l'unité du parti, c'est sur une ligne de « réforme de l'UE » et de l' « OTAN », ainsi que dans la perspective d'un gouvernement « rouge-rose-vert » auquel il aspire pour 2017.
Réformer l'OTAN ? La nouvelle marotte de Linke !
Ces derniers mois, Gregor Gysi a ferraillé dans le parti pour édulcorer au maximum les positions anti-impérialistes traditionnelles de la gauche allemande.
Le combat a porté sur le programme aux élections européennes. Deux objectifs atteints pour Gysi : (1) enlever l'exigence de retrait de l'Allemagne de l'OTAN ; (2) enlever l'identification de l'UE comme un « bloc militariste, néo-libéral et fondamentalement anti-démocratique ».
Ces positions supposément portées par l'aile-gauche du parti ont en réalité été effacées du programme du parti sans susciter de réel combat interne, révélant un consensus de fond derrière les postures publiques.
On se souvient que Gregor Gysi avait été pris la main dans le sac il y a cinq ans lorsque Wikileaks a révélé ses entretiens secrets avec l'ambassadeur américain à Berlin en 2009 où il le rassurait sur le caractère inoffensif des mots d'ordre de Linke, sacrifiant le concret retrait de l'Allemagne de l'OTAN à l'abstraite et irréaliste dissolution de l'OTAN.
En octobre 2013, la dirigeante du parti Katja Kipping était même allée plus loin en plein scandale des écoutes téléphoniques américaines. Elle avait alors dénoncé l'attitude des Etats-unis « qui porte des dommages irréparables à l'architecture de sécurité de l'Atlantique nord ».
Elle regrettait ensuite que Merkel se soit rendue compte trop tard que « les Etats-unis ne veulent pas d'une Europe forte » (sic) avant d'appeler de ses vœux à une transformation de l'OTAN en « un partenariat trans-atlantique pour la paix ».
L'alliance avec le SPD en 2017 : l'objectif avoué des « réformateurs » de Linke
C'est l'idée derrière les manœuvres de Gysi visant à re-centrer la politique étrangère vers le consensus militariste dominant : préparer une coalition de « gauche plurielle », « rouge-rouge-verte » pour 2017.
Selon les observateurs, la pierre d'achoppement majeure reste la politique étrangère allemande : entre le SPD et les Verts, partisans d'une politique d'adhésion pleine et entière à l'OTAN, l'UE, aux missions à l'étranger, au réarmement allemand, et Linke, supposée critique face à cette politique.
Gysi, dans un entretien récent à « Deutschlandfunk », a tenu à insister sur ce point : « nous voulons un accord sur la politique étrangère, comme sur la défense, avec nos partenaires de gauche ».
A cette fin, Gysi est prêt à voir des mirages : « Je crois que le SPD a compris que les interventions en Afghanistan, en Yougoslavie, Irak, Libye n'ont rien résolu, qu'elles ont au contraire exacerbé les tensions ».
Au moment où le ministre des Affaires étrangères SPD Steinmeier mène la politique extérieure la plus belliciste depuis un demi-siècle, où le SPD dans la « Grande coalition » avec la CDU soutient les interventions au Mali, en Syrie, en Centrafrique, c'est fort de café !
Mais dans toutes ces interviews, une question surgit inévitablement : celle de la coalition de gauche pour 2017. Gysi est toujours prudent mais pour lui,« ce n'est pas sur la question de la politique étrangère qu'il y aura le plus de désaccords ».
Une façon habile de dire qu'il suffira d'un pas réciproque (enfin un pas de Linke vers le consensus atlantiste, belliciste, surtout!) pour arriver à un accord.
Tous les yeux sont désormais tournés vers Thuringe où les élections régionales à l'automne pourraient voir l'élection d'un président de région de « Die Linke », Bodo Ramelow, élu grâce au soutien du SPD et des Verts. Une préfiguration de la « gauche plurielle » pour 2017.
Selon Gysi, ce fait « serait un moment fort pour la gauche en Allemagne ». La dirigeante verte locale, Katrin Goring-Eckardt d'un côté, a salué le travail de Gysi, évoquant un « parti qui a liquidé l'héritage du SED »pour devenir un « parti social-démocrate assumé ».
De l'autre, elle s'est dite inquiète de la position de certains députés Linke adoptant une « position pro-russe », obstacle pour elle à une coalition de gauche au niveau régional comme national.
Il convient de rappeler que le SPD gouverne actuellement le Land de Thuringe … avec les conservateurs de la CDU !
On comprend le jeu d'équilibriste de Gysi, qui se voit déjà ministre des Affaires étrangères de la RFA après avoir été apparatchik de la veille et dissident du lendemain en RDA, ajustant ses positions au gré des oppositions internes, lançant des ballons d'essai, pour orienter sa politique extérieure vers la convergence sur des positions européistes, atlantistes, militaristes du SPD et des Verts.
Mais le peuple allemand mérite beaucoup mieux que ses calculs politiciens, il a besoin d'une organisation politique révolutionnaire, de lutte qui affirme haut et fort : Plus jamais la guerre, plus jamais la renaissance du militarisme et de l'impérialisme allemands !