Nous portons à la connaissance de nos lecteurs les différentes prises de positions des centrales syndicales qui refusent de continuer à participer à la conférence "sociale". Voici celle de la CGT . Les autres suivront.
La CGT a décidé de ne pas participer à la seconde journée de la Conférence sociale 2014. Thierry Lepaon, nous en explique les raisons après la rencontre avec le Chef de l’Etat. A cette occasion, Thierry Lepaon a réaffirmé, notamment, l’opposition de la CGT au Pacte de responsabilité "qui va avoir un effet récessif sur notre économie" et il a réclamé "un changement de cap en matière économique et sociale". Il a aussi dénoncé les faux semblants du dialogue social et notamment le fait qu’avant même l’ouverture de la conférence sociale, le gouvernement répond à deux vieilles revendications patronales. Dans ces conditions, explique Thierry Lepaon, "il n’est pas question pour la CGT de cantonner le syndicalisme tout entier dans un rôle de figuration, particulièrement méprisant pour l’exercice de la démocratie sociale et qui divise les organisations syndicales". Dès lors la CGT a décidé ce matin, qu’elle ne participerait pas aux séances de travail prévues pour la seconde journée.
Monsieur le Président de la République,
Vous ouvrez cet après- midi la troisième conférence sociale de votre quinquennat. Après cinq années de mépris des organisations syndicales par le précédent gouvernement, vous avez souhaité donner une nouvelle dimension aux relations sociales dans notre pays en instituant, dès votre élection, le principe d’une conférence sociale annuelle.
Donner un sens politique à la construction sociale dont notre pays a besoin, sous la responsabilité du Président de la République qui est garant de la cohésion de la nation, est une ambition à laquelle la CGT est sensible.
Au bout de trois exercices, il est temps d’en faire le bilan. Un bilan économique et social d’abord.
La situation des salariés se dégrade de mois en mois : hausse des inégalités, augmentation de la pauvreté qui touche d’abord les chômeurs et les salariés, installation du chômage de masse, désillusion, démobilisation et usure des salariés au travail, déstructuration de la vie sociale.
L’industrie continue de perdre des emplois. Les mesures d’austérité prises par le gouvernement aggravent la situation.
Le pacte de responsabilité met en danger notre protection sociale. La transformation progressive de notre sécurité sociale vers une fiscalisation du financement et des prestations n’est pas de nature à répondre aux besoins d’aujourd’hui.
En l’absence d’engagements clairs du patronat sur la création d’emplois, le pacte de responsabilité va avoir un effet récessif sur notre économie.
Vous avez décidé d’engager une réforme territoriale en urgence, qui soulève une opposition majoritaire. Cette réforme intervient au moment même où vous mettez un terme à la remise à plat fiscale proposée par l’ancien Premier ministre, qui aurait pu ouvrir la voie à de nouveaux moyens pour l’action publique. La réforme territoriale n’est pas destinée à rapprocher le service public des citoyens. Au contraire il s’agit de chercher, à tout prix, les économies imposées par votre plan d’austérité à 50 milliards d’euros. Elle va se traduire par un vrai plan social dans la fonction publique. Nous y sommes clairement opposés.
La politique menée fait exploser les conflits sociaux parce que le gouvernement ne veut pas entendre les salariés, ni ouvrir une réflexion de fond sur les problèmes qu’ils rencontrent.
C’est vrai à la SNCF, c’est vrai du conflit des intermittents. Nous avions averti que la remise en cause par le patronat des conditions d’indemnisation du chômage des salariés du spectacle et des intérimaires conduirait à l’affrontement. Nous y sommes.
Je vous ai alerté également vendredi dernier sur la situation de la SNCM. Il est inacceptable que l’Etat renie sa parole. C’est cela qui provoque l’exaspération de tous les acteurs concernés.
Nous attendons un changement de cap en matière économique et sociale.
C’est en respectant les salariés et en revalorisant le travail par une autre répartition des richesses créées par le travail qu’une issue à la crise sera possible.
Depuis deux ans, le gouvernement met en œuvre une politique sectorielle en superposant des dispositifs qui, en soi ne sont pas critiquables, mais qui ne peuvent pas servir de politique de l’emploi. On est arrivé au bout de cette logique. Un jour, on s’occupe des jeunes, un autre des seniors, en ignorant volontairement la responsabilité du patronat qui prend pour cible le travail des salariés au travers de ce qu’il appelle le « coût du travail ».
Nous sommes devant une absence de politique globale qui fragilise notre contrat social et conduit à l’échec en matière économique et sociale. C’est le cas en France et en Europe, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Les salariés ont besoin d’une rupture claire avec la situation existante. Il y a une urgence sociale et politique à prendre en compte la réalité de vie des millions de salariés, de retraités et de privés d’emploi.
Nous faisons aussi un bilan concernant la démocratie sociale.
L’attitude du premier Ministre à l’égard des partenaires sociaux n’est pas admissible. De façon unilatérale, il remet en cause des mesures qui ont fait l’objet d’une négociation, d’un accord, d’une loi.
Très concrètement, le gouvernement donne raison au patronat qui ne veut pas endosser sa responsabilité dans la reconnaissance de la pénibilité au travail et qui exclut du travail pour inaptitude 150 000 salariés par an.
Avant même l’ouverture de la conférence sociale, le gouvernement répond à deux vieilles revendications patronales.
Le relèvement des seuils sociaux, alors qu’on sait qu’ils n’ont pas d’incidence sur la création d’emplois, et la simplification du code du travail en vue de « rendre l’économie plus souple », selon les termes du ministre du Travail.
Pour la CGT, une économie plus souple impose au contraire de renforcer les garanties sociales des salariés par une sécurité sociale professionnelle inscrite dans la loi.
Il n’est pas question pour la CGT de cantonner le syndicalisme tout entier dans un rôle de figuration, particulièrement méprisant pour l’exercice de la démocratie sociale et qui divise les organisations syndicales. Le gouvernement ne peut pas décider du calendrier, du contenu et des objectifs des thématiques à débattre entre partenaires sociaux et demander aux organisations syndicales d’assurer la mise en œuvre par une négociation sous contrainte du patronat.
La CGT s’opposera à toute mesure affaiblissant le droit d’intervention, de représentation et de négociation collective des salariés dans notre pays.
La possibilité d’un dialogue social, c’est aussi le respect des libertés syndicales à l’entreprise. Elles continuent à être malmenées, à l’image de ce qui se passe chez Toyota, mais aussi ailleurs. Mettre un terme aux discriminations syndicales suppose un engagement clair de l’État pour reconnaître le fait syndical et pour sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi.
Concernant les huit thématiques abordées par la conférence sociale, la CGT formule 94 exigences qui donnent un sens, et des propositions très concrètes qui correspondent à des attentes fortes de la part des salariés. Nous les avons rendues publiques la semaine dernière. Notre contribution vise à obtenir une sortie progressiste de la crise. C’est là- dessus que nous attendons des résultats.
Parmi ces propositions, cinq priorités sont essentielles pour la CGT. Elles sont une première étape pour un change- ment de cap qui réponde aux aspirations du monde du travail et pour réorienter la politique économique. Je les rappelle :
1. revaloriser le Smic, l’indice des salaires de la fonction publique, les pensions et les minima sociaux ;
2. établir un calendrier strict et à court terme pour ouvrir des négociations dans les branches professionnelles sur les grilles de qualification avec pour objectif : plus aucune grille en dessous du Smic et une garantie de reconnaissance des qualifications sur une carrière complète ;
3. mettre en œuvre une véritable démocratie sociale : tous les salariés doivent pouvoir élire un représentant du personnel dans leur proximité, y compris ceux des TPE, ils doivent pouvoir bénéficier d’un droit d’expression direct et collectif sur leur travail, pris sur leur temps de travail, leurs représentants doivent pouvoir disposer de droits d’intervention dans la stratégie de l’entreprise avec un droit de veto sur les licenciements ;
4. relancer l’emploi par l’investissement industriel en engageant la France dans le plan d’investissement visant la création d’emplois de qualité, porté par la Confédération Européenne des Syndicats, en y consacrant 2 % du PIB ;
5. évaluer et contrôler les aides publiques accordées aux entreprises et les réorienter pour qu’elles servent à l’emploi et à l’investissement.
L’organisation de la conférence sociale a donné lieu à quatorze réunions préparatoires, qui ont beaucoup mobilisé nos équipes sur la mise en œuvre de mesures qui semblent déjà décidées et convenues avec le patronat. Ces rendez-vous n’ont pas montré une volonté du gouvernement d’ouvrir le débat sur des sujets de réflexion qui préoccupent la CGT et les salariés.
Les salariés, les retraités et les privés d’emploi attendent des réponses à leurs problèmes maintenant.
Par contre, tout le monde a relevé l’empressement avec lequel le premier Ministre a répondu par avance aux demandes du patronat contre l’intérêt des salariés.
Ce n’est pas d’une conférence sociale hors sol dont les salariés ont besoin.
Dans ces conditions nouvelles, le bureau confédéral de la CGT a décidé ce matin, que la CGT ne participerait pas aux séances de travail prévues demain. Je tiens donc à vous en informer dès à présent.
Le 7 juillet 2014