DERRIERE L'ECOLOGIE...
Le 4e rapport du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'évolution du climat (GIEC), présenté à Paris le 2 février 2007 indique que l'augmentation de la température moyenne de la terre aurait atteint 0,6° depuis 1861, avec une incertitude de plus ou moins 0,2°, et que le XXe siècle aurait « probablement » connu le réchauffement le plus important depuis un millénaire. D'où la conclusion selon laquelle il est « très probable » (90%), quoique non « quasiment certain » (99%), que ce réchauffement soit dû pour partie aux activités humaines par rejets de gaz à effet de serre (GES). « Pour partie » seulement parce qu'il existe aussi des facteurs astronomiques du changement climatique : les paramètres orbitaux de notre planète sont perturbés de manière cyclique par les autres corps célestes du système solaire, la lune et Jupiter principalement. La résultante de ces perturbations est une glaciation tous les 100 000 ans environ ; à noter que la configuration du système solaire et son évolution prévisible ne permettront pas l'entrée dans une phase de glaciation avant 50 000 ans.
Le GIEC prévoit également d'ici à 2100, un réchauffement compris entre 1,8° et 4° – ce sont les « valeurs les plus probables » (en 2001, la fourchette était plus large). Mais le GIEC n'exclut pas totalement des valeurs situées entre 1,1° et 6,4° C, même s'il privilégie l’estimation centrale de 3° C. Les écarts entre les valeurs hautes et basses sont liés aux incertitudes sur les mesures qui seraient prises dans les pays les plus polluants en matière climatique. C'est ainsi que l’évaluation de la montée du niveau des mers se situe dans une fourchette de 18 à 59 cm d'ici la fin du siècle. Mais les experts n'excluent pas 10 cm de plus si la fonte récente des glaces polaires se poursuit. Total : 69 cm dans l'hypothèse la plus haute (à noter qu'en 2001, cette valeur était estimée à 89 cm). En outre, le GIEC attire l’attention sur le fait que le réchauffement devrait se poursuivre inexorablement pendant plusieurs siècles en raison des immenses inerties « biosphérales » (1). Autrement dit, même si les taux de GES dans l'atmosphère étaient aujourd’hui stabilisés – ce qui est très loin d'être le cas – les tendances lourdes ne seraient pas stoppées pour autant. De la même manière, la hausse du niveau des mers persisterait pendant au moins mille ans (2).
Ces deux derniers points sont essentiels pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui aux plans politique et médiatique en matière de lutte contre le réchauffement. C’est du reste cette question des inerties « biosphérales » qui faisait dire dès mai 2004 au directeur de l'Environnement de l'OCDE, Lorents Lorentsen : « (...) il est déjà trop tard pour contrer certaines modifications du climat causées par les activités humaines. Autrement dit, les politiques visant à réduire les émissions de GES devront s'accompagner d'autres mesures pour nous aider à nous adapter aux effets du changement climatique ».
Certes, les effets potentiels du réchauffement désormais inévitable sont inquiétants. Les possibles conséquences socio-économiques sont nombreuses. Avant la publication du 4e rapport du GIEC, elles avaient été pointées en octobre 2006 dans le « rapport Stern », du nom d’un ancien économiste de la Banque Mondiale. Celui-ci indiquait que si « nous » ne faisons rien contre le réchauffement climatique, l'économie des pays industrialisés, donc l'économie mondiale, s’effondrerait ! Nicholas Stern prévoyait un baisse de 20% de la production économique et la multiplication de conflits de survivance meurtriers. L’auteur évaluait le coût de la lutte contre les émissions de GES à 1% des richesses produites dans le monde, ce qui est beaucoup ; mais affirmait qu’à l’inverse, la passivité provoquerait catastrophes économiques, sociales et politiques qui pourraient coûter 20 fois plus (5500 milliards de dollars).
Mais ce rapport – dont l'esprit de nuance n'est pas la qualité principale – esquive, entre autres, la question cruciale des inerties biosphérales, autrement dit le mouvement déjà enclenché. Du coup, depuis sa publication notamment, la question des responsabilités individuelles dans le domaine du réchauffement fait l'objet d'une extraordinaire agitation médiatique, et ce dans le monde entier. Le WWF, puissante organisation de collecte de fonds (dont l'un des fondateurs, le Républicain nord-américain Russell Train, défendit mordicus la firme Union Carbide, responsable des 12 000 morts de Bhopal en 1984), fait à l'idée ancienne d'« empreinte écologique » de chacun une publicité très efficace : il s'agit de démontrer que nos modes de vie exigeraient, si nous n'y mettions un frein, les ressources de plusieurs planètes Terre.
Cette campagne n’est peut-être pas totalement innocente. Tout se passe comme si l’on voulait focaliser l’attention sur la « responsabilités » des individus, et éluder les comportements et choix des firmes multinationales. Or, en France par exemple, les ménages sont responsables de 13 % seulement des émissions nationales de GES ; les véhicules individuels le sont pour 14 %, soit 27 % au total (2). Tout le reste (73 %) est imputable aux activités agricoles, commerciales et industrielles. Plus précisément, il convient d'observer les effets extrêmement néfastes de la mondialisation et des délocalisations en matière de circulation des marchandises et des produits en cours d’élaboration : leur transport est un désastre en matière d'usage des combustibles fossiles. A l’inverse, il faut replacer dans des limites raisonnables l'efficacité d'éventuels changements de comportements individuels, et s’interroger sur la bonne foi de certains acteurs. Ainsi, l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) n’hésite pas à inclure dans la responsabilité des ménages les « immobilisations », c'est-à-dire les GES rejetés lors de la fabrication des matériaux de construction pour l'immobilier, ou des émissions de CO2 dues aux conditions des productions agricoles consommées par chacun. L'ADEME aboutit ainsi à faire peser sur les seuls individus la majeure partie des responsabilités en matière de réchauffement climatique et d'épuisement des ressources énergétiques.
En outre, la question du réchauffement fait toujours surgir celle de l'épuisement des combustibles fossiles à relativement court terme : entre 50 et 100 ans. Or les choix économiques dominants ne mettent guère les économies d'énergies fossiles à l'ordre du jour. Pour ne prendre que le seul exemple français, on prévoit le doublement des transports routiers d'ici à 2020 ; dans le même temps, le réseau ferré français est aujourd'hui revenu à son niveau de… 1875, et la SNCF organise même sa propre concurrence avec ses filiales de transport routier. Mais ce sont encore les individus, désignés comme consommateurs forcenés, qui devraient faire les efforts nécessaires. Au besoin, on les « aidera » par des taxations « écologiques ». En revanche, les entreprises ne sont guère dans le collimateur : ne doivent-elles pas produire à des prix « compétitifs » ?…
Et voilà bien tout le paradoxe : alors qu’il pourrait être raisonnable de réfléchir à une démondialisation de l'économie et à la relocalisation des activités industrielles et agricoles, l’on entend au contraire qu’il faut se préparer à l’inéluctable déclin économique du Vieux Continent. Cerise sur le gâteau, c’est le thème bien connu du « freinage écologique » de la consommation et des productions agricoles et industrielles qui vient appuyer cette « fatalité ». On se croirait revenu à l'époque du premier rapport au Club de Rome (« Les limites de la croissance », 1972), qui tentait de remettre le malthusianisme à l’ordre du jour... A l'époque déjà, l'indexation du prix du baril de brut sur les fluctuations de la monnaie américaine avait constitué, divine surprise, un formidable tremplin pour les mouvements écologistes en Europe, qui tous stigmatisaient la « société de consommation », applaudis sans vergogne par Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre (4)
Ultime bénéfice idéologique : sauver la planète constituerait une raison supplémentaire d’aller vers une « gouvernance mondiale » supranationale, et justifierait a fortiori l'intégration européenne, puisque « les pollutions n'ont pas de frontières ». Comme si la coopération entre pays souverains n’était pas mieux à même de relever les défis planétaires. Bref, les travaux honnêtes des climatologue du GIEC tombent à point nommé pour servir des intérêts qui ne le sont aucunement.
Pascal Acot
Cet article est initialement paru dans le mensuel « Bastille-République-Nation ».
Pascal Acot a publié en 2006 : « Catastrophes climatiques, désastres sociaux », aux Presses Universitaires de France.
------------------------------------(1) La biosphère comprend l’espace qui abrite le vivant. Sa masse considérable et sa complexité induisent une forte inertie dans les évolutions dont elle est l’objet.
(2) En fait, l'unanimité n'est pas totale. Certains considèrent que le réchauffement pourrait augmenter la couverture nuageuse dans de nombreuses régions du globe, ce qui limiterait les effets du rayonnement solaire, et qu'il ne faut donc pas sous-estimer cet effet "parasol". Il reste que l'immense majorité des scientifiques se situe en harmonie avec les travaux du GIEC
(3) Institut Français de l'Environnement.
(4) Cf. Valéry Giscard d'Estaing, Démocratie française, Paris, Fayard, 1975 ; Raymond Barre, Programme de Blois, Paris Fayard, 1978