Pas un jour sans que les médias nous travaillent à l'émotion. Du Kosovo au Tibet, en passant par l'Afghanistan et l'Irak, on nous exhorte à la révolte contre les dictatures ou la menace du terrorisme. A en croire les gouvernants de l'Europe et des Etats-Unis, la lutte du bien contre le mal justifie que les politiques nationales soient subordonnées à une morale prétendument universelle. Quelques éléments de réflexion sur le mariage contre-nature de l'éthique et de l'exploitation de l'Homme par l'Homme...
LES NOCES BARBARES DU CAPITALISME ET DE LA MORALE
En France, Bernard Kouchner, "un tiers-mondiste, deux tiers mondain" tente de justifier les interventions militaires de l'OTAN au nom des « Droits de l'Homme » ou du « droit d'ingérence humanitaire ». Cette association de l'humanitaire et du militaire, du sabre et du goupillon, n'est pas sans nous rappeler les heures sombres du colonialisme. D'autant que ceux qui se proclament les défenseurs de « Droits de l'Homme » s'autorisent à s'en dispenser. En Irak, par exemple, le blocus économique qui a précédé l'intervention militaire provoqué la mort de 100 000 personnes par an et, au total, celle d'un demi million d'enfants. Quant à la torture, on sait qu'elle est désormais légale dans l'armée américaine et officielle en Israël.
Dans le capitalisme, morale et politique s'excluent mutuellement
En réalité, en accréditant l'idée que toute politique doit obéir à des règles morales pour être respectée, les USA et l'Europe tentent de masquer leur volonté hégémonique sous le couvert de l'humanitaire et espèrent obtenir le soutien de l'opinion publique en exacerbant le sentimentalisme populiste au détriment du sens critique. C'est en effet un non-sens que de vouloir subordonner la politique à la morale. Celles-ci relèvent de deux ordres différents, irréductibles l'un à l'autre, comme le notait déjà Machiavel en son temps. Dans une société où règne l'exploitation de l'Homme par l'Homme, la politique vise à servir des intérêts de classe, non la vertu. D'ailleurs, si l'on pense avec Hegel que « l'Homme se produit lui-même » et avec Marx que « l'histoire est l'histoire naturelle de l'Homme », on conviendra que c'est la politique qui enfante le Droit et la morale, et non l'inverse. Sauf à croire, bien entendu, en une essence humaine définie a priori ou en un idéal perdu qu'il s'agirait de retrouver. Comprendre que la politique est le produit de communautés d'hommes placés dans des conditions historiques différentes, c'est du même coup concevoir que le Droit et la morale diffèrent nécessairement d'une Nation à l'autre. Il n'est donc pas de de Droit ou de morale universels. Sauf pour ceux qui ont intérêt à ce que la politique s'efface devant le « Droit » afin de pouvoir mutoler les souverainetés nationales. Ainsi, le « Droit » de l'Europe s'impose aux Nations qui composent celle-ci alors qu'il n'est issu d'aucune consultation démocratique.
Quand la dépolitisation va de pair avec la moralisation
Parcequ'elle veut affirmer la prééminence du droit des capitaux sur le droit des peuples, la logique capitaliste ne peut supporter l'existence d'Etats-Nations souverains. En 1999, le philosophe Daniel Bensaïd, dans un article intitulé « Le capitalisme ventriloque » notait pertinemment : « Dans le discours décomplexé du capital, la dépolitisation méthodique va de pair avec la moralisation à outrance ». L'heure est à la « guerre éthique » (Blair), à la « souveraineté éthique » (Cohn-Bendit). Cette escalade de l'éthique est l'envers (la béquille et le baume », du déchaînement de la jungle marchande. Elle peut parfaitement faire le meilleur ménage avec la concentration et le monopole de la puissance financière et militaire. Ces noces barbares sont alors porteuses des pires dangers : lorsque le fanatisme de l'éthique (l'obligation inconditionnelle illimitée dont parle Bernard Henri-Lévy) s'allie à la suprématie technique impériale, l'espace même de la pluralité politique, de la contradiction et de la controverse est menacé. »
C'est pour servir au mieux ses intérêts que le capitalisme mondial a créé la Cour pénale internationale, et le « droit d'ingérence humanitaire ». La manière sélective avec laquelle les grandes puissances mettent en oeuvre ces novations est d'ailleurs éclairante. On inculpe Milosevic quant on épargne Pinochet. On évoque le nom de Fidel Castro mais on tait ceux des « saigneurs du monde ». Les interventions millitares sont également ciblées. La guerre du Kosovo n'avait pour but que de démanteler l'ex-Yougoslavie qui restait fermée à l'économie internationale de marché. Ce sont les enjeux géostratégiques concernant les voies d'accès au pétrole ou au gaz de la Caspienne, de l'Asie, y compris les ambitions aux lisières de la Chine, qui sont la cause des interventions militaires en Irak, et non la lutte contre le terrorisme. Cependant on laisse impunies les incessantes violations des décisions de l'ONU par Israël et ses atrocités commises à l'encontre du peuple palestinien.
Au reste, répétons-le, morale et politique ne peuvent s'accorder dans un monde où règne l'exploitation de l'Homme par l'Homme. Les êtres humains ne prendront possession de leur vraie nature, le monde ne deviendra le monde humain qu'avec la suppression de l'aliénation dans laquelle vivent les hommes d'aujourd'hui. Et cette suppression ne sera effective que lorsqu'aura été abolie positivement la propriété des moyens de production et d'échange. Alors aura-t-on encore besoin de parler de morale ?
Michel Barrière
Action communiste