Quelques centaines de documents classifiés du ministère américain de la Défense se sont retrouvés sur les réseaux sociaux avant d’être massivement diffusés. En termes d’ampleur et de sensibilité, il s’agit de la plus grosse fuite depuis les révélations de Chelsea Manning sur les crimes de guerre américains en Irak, diffusées par Wikileaks en 2013. Parmi les divulgations importantes figurent de nombreuses informations sur le conflit ukrainien, les méthodes américaines d’espionnage et l’analyse de leurs services sur de nombreux dossiers allant du Moyen-Orient à la Corée du Sud. Sur l’Ukraine, ils écornent plusieurs éléments du récit officiellement défendu par Washington.

Tout est remarquable dans cette affaire : l’origine de la fuite, le profil de la source, la réponse de la presse américaine et le contenu des documents. 

Un « lanceur d’alerte » atypique 

Jack Teixeira est un soldat de première classe de 21 ans affecté à la cybersécurité de la 102e brigade du renseignement de l’armée de l’air, basé à Cape Cod (Massachusetts). Ses prérogatives de technicien informatique lui conféraient un niveau élevé d’accès aux documents secret-défense, malgré son manque d’expérience. 

Ce « lanceur d’alerte » n’a pas grand-chose en commun avec ses illustres prédécesseurs. Des figures aussi emblématiques qu’Edward Snowden, Chelsea Manning ou Daniel Ellsberg étaient motivés par le désir d’informer le public des agissements inavouables du gouvernement américain – que l’on parle de l’espionnage de masse et illégal des citoyens par la NSA, des crimes de guerre de l’armée en Irak ou des mensonges des administrations successives pour prolonger la guerre du Viêtnam, que le Pentagone savait perdue d’avance. À chaque fois, ces lanceurs d’alertes ont transmis leurs informations à des médias capables de toucher le grand public (le New York Times, le Washington Post, le Guardian ou Wikileaks), qui leur ont assuré une certaine protection.

La presse américaine a contribué à tarir prématurément la source des révélations. D’abord en informant le public de son existence, puis en concourant à lever son identité et à conduire, potentiellement, à son arrestation. Au risque de décourager de futurs lanceurs d’alertes.

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