Le film franco-sénégalais « Tirailleurs » réalisé par Mathieu Vadepied et co-produit par Omar Sy est sorti dans les salles françaises le 4 janvier 2023. Nous reviendrons sur l’annonce démagogique faite au nom du gouvernement le jour de sa sortie et sur divers aspects méconnus de l’histoire de ces soldats coloniaux de la Grande guerre, dont les expérimentations médicales pour lesquelles ils ont été utilisés. Ci-dessous l’annonce le 24 janvier 2023 à Montreuil, dans une ville où un grand nombre de résidants sont originaires du Mali, d’une séance soutenue par la Ligue des droits de l’Homme accompagnée d’un débat avec l’historien Gilles Manceron. Suivie d’un rappel historique par l’historien Alain Ruscio du sort de ces soldats venus des colonies françaises durant la Première guerre mondiale.
quelques rappels historiques
par Alain Ruscio, pour le site histoirecoloniale.net
À la veille du premier conflit mondial, les troupes coloniales sont composées de l’armée coloniale proprement dite, créée par décret en 1900, et de l’armée d’Afrique, ou XIXème Corps d’armée. De 1914 à 1918 bien des « indigènes », venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, d’Indochine, des vieilles colonies [1] et du reste de l’empire, sont venus souffrir - toujours -, mourir - souvent - et se couvrir de gloire - parfois - en France. Cet épisode a fait l’objet de bien des commentaires, depuis un siècle : de la justification de la « mission civilisatrice » - « Ces braves gens, venus de pays si lointains, seraient-ils venus, ne seraient-ils battus avec tant de courage, seraient-ils morts, si nous avions été des oppresseurs ? » disait, par exemple, le général Gouraud en 1924 [2] - à la thématique de la chair à canon sacrifiée avec cynisme.
Le général Nivelle, [...] , lors de la préparation de l'offensive du Chemin des Dames déclara : « Il faut y aller avec tous les moyens et ne pas ménager le sang noir, pour conserver un peu de blanc » (16 janvier 1917) . Dans une note à Lyautey, alors ministre de la Guerre, il demanda que « le nombre d’unités noires mises à ma disposition soit aussi élevé que possible (tant) pour donner de la puissance à notre effectif (que pour permettre d’épargner dans la mesure du possible du sang français) » (21 février 1917) [31]
Le thème de l’Empire, source inépuisable d’hommes, déjà présent avant 1914, prit des proportions parfois démesurées.
Le moins que l’on puisse dire est que les experts militaires se contredisaient : « Les douze ou treize millions d’habitants que compte l’Afrique occidentale française (AOF) peuvent certainement nous donner 200 000 soldats en moins d’un an », écrivait le général Mangin dans son rapport du 26 novembre 1916. Ces déclarations à l’emporte-pièces avaient le don d’irriter d’autres hauts cadres militaires ou civils, beaucoup plus au fait des réalités. Mangin avait de solides adversaires dans la hiérarchie : l’état-major des armées jugeait « dangereux » de faire croire « comme le font certains », que « les ressources en hommes de notre Empire colonial sont inépuisables » [3]. Le Gouverneur de l’AOF, Joost Van Vollenhoven, en particulier, s’opposa au recrutement de masse, par exemple dans cette lettre au ministre des Colonies, André Maginot : « Cet empire africain, qui est pauvre en hommes, est riche en produits, laissez-lui sa misérable population pour le ravitaillement pendant la guerre et pour l’après-guerre ! Pour tirer de ce pays-ci quelques milliers d’hommes, on le mettra à feu et à sang et on le ruinera » (Lettre, 20 juillet 1917) [4]. Triste ironie du sort, Van Vollenhoven devait mourir au combat, un an jour pour jour après ce courrier, le 20 juillet 1918.
On voit qu’entre les 200 000 hommes dont parlait Mangin et les « quelques milliers » auxquels Van Vollenhoven voulait qu’on se limite, il y avait quelques nuances.
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