Le constat le plus évident consiste à prendre acte de la capacité du système médiatique à se mettre en branle et à informer massivement sur l’international, traditionnellement laissé pour compte dans les médias dominants. Dans la presse, reportages et analyses sont au premier plan : chez Libération et au Monde, la guerre fut à la Une de manière continue entre le 24 février et le 16 mars (18 numéros). Des émissions spéciales s’enchaînent à la radio, l’agenda des JT devient mono-sujet, les longs formats dédiés à la campagne présidentielle sont bouleversés sur le service public, tandis que sur les chaînes d’information en continu, éditions spéciales et « priorités au direct » incessantes reconfigurent les grilles.
Il faut voir, bien sûr, dans ce bouleversement éditorial, la conséquence d’une guerre aux portes de l’Union Européenne, des milliers de civils tués et des millions de réfugiés.
On peut y voir, aussi, une application par les journalistes de la « loi de proximité », ce « principe suivant lequel les informations ont plus ou moins d’importance suivant leur proximité par rapport au lecteur. Cette proximité est généralement décomposée en quatre axes : géographique, temporel, affectif et sociétal/socio-professionnel ». Dès le matin du 24 février Dominique Seux ne dit pas autre chose : « Kiev, rappelons-le, n’est qu’à 2 000 kms précisément à vol d’oiseau de Paris – trois fois Paris-Marseille. La frontière ukrainienne est seulement à 1 500 kms de nous. » (France Inter) « C’est une guerre où on peut aller en voiture » résume la journaliste Céline Martelet sur le plateau d’Arrêt sur images. Proximité géographique donc (même si Kiev n’est pas spécialement plus proche de Paris que Tripoli…), « culturelle » aussi : plusieurs articles ont fait état de la très forte identification aux civils ukrainiens, notamment sur les plateaux de BFM-TV, comme le relate Arrêt sur images. Avec Christophe Barbier, par exemple : « Il y a un geste humanitaire immédiat, évident […] parce que ce sont des Européens de culture […] on est avec une population qui est très proche, très voisine. […] Nous ne sommes pas face à des migrants qui vont passer dans une logique d’immigration. » Ou bien avec Ulysse Gosset, autre éditorialiste de BFM-TV : « On est au XXIème siècle, on est dans une ville européenne, on a des tirs de missiles de croisière comme si on était en Irak ou en Afghanistan. » En passant par Philippe Corbé, chef du service politique de BFM-TV : « Ce n’est pas des départs en vacances. Ce sont des gens qui fuient la guerre. […] On ne parle pas de Syriens qui fuient les bombardements du régime syrien […] on parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie, quoi. » Ou encore Olivier Truchot, sur RMC : « Les Français se disent : "l’Ukrainien, il me ressemble. Il a la même voiture que moi, c’est à trois heures de Paris, je pourrais être à sa place." […] Il y a une identification, une proximité que peut-être le Français a moins avec l’Afghan. […] Ce n’est pas du racisme, c’est la loi de la proximité. » Même discours pour Philippe Dessertine, expert habitué des plateaux, le 2 mars, encore sur BFM-TV : « Nous nous parlons bien d’une guerre où, à l’heure où nous parlons, nous avons des Européens qui meurent. Qui meurent. Et quand on voit les photos derrière vous, je pense probablement y compris pour les plus jeunes d’entre nous, que ce qui est terrible, c’est qu’on a l’impression que c’est une ville de chez nous. C’est une ville d’Europe hein. On voit des voitures qu’on connaît, on voit des paysages qui sont presque proches de chez nous. »
Une solidarité médiatique qui dénote franchement avec le traitement médiatique réservé habituellement aux exilés fuyant les guerres, les répressions et les famines – réfugiés requalifiés au passage de « migrants ».
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