Dans une lettre ouverte à des camarades syndicalistes de l’enseignement supérieur, l’historienne Annie Lacroix-Riz, spécialiste de la période des années 1930, revient sur la nature financière du capitalisme au cours du temps. L’occasion de tordre le coup à ceux qui – pour ne pas mettre en cause le système capitaliste et espérer le miracle de quelques réformes ramenant à une période d’un capitalisme qui ne soit plus “néolibéral” – dénonce la cause de la crise actuel dans un capitalisme qui serait subitement devenu trop financier.
Annie Lacroix-Riz nous a aimablement autorisée à publier cette échange
Le capitalisme est financier depuis au moins la fin du XIXe siècle – par Annie Lacroix-Riz
Chers camarades,
Il faut cesser de répéter en boucle que le capitalisme n’est « financier » que depuis trente ans : il l’est depuis sa phase impérialiste, c’est-à-dire le dernier quart du 19e siècle. Ses analystes d’avant 1914 (base de la synthèse qu’en a présentée Lénine en 1916) avaient déjà décrit « la mondialisation libérale [pour qui? et sans État?], financière et dévastatrice ». Et le monde dépecé, ça ne date pas de 1989, bien que la chute de l’URSS et de sa sphère d’influence, ajoutée à l’aggravation objective de la crise, ait accéléré la danse en Europe : ça a commencé avec la furie coloniale du 19e siècle, amorcée au 18e pour le capitalisme britannique précoce, et intensifiée par la crise de 1873.
Le vocable de « néolibéral » (ça fait belle lurette que le capitalisme n’est plus « libéral », il ne l’a jamais été depuis l’ère impérialiste) donne l’illusion que si on arrache au capitalisme sa mauvaise graine « financière », ses capacités industrielles se redéploieront. C’est faux, on peut aisément le comprendre en lisant des textes de base de Marx, tels que Salaire, prix et profit et Travail salarié et capital (tout est en ligne) – sans oublier le si riche Manifeste du parti communiste. Si on veut profiter du confinement (évidemment, c’est difficile avec des bébés, des enfants jeunes ou des adolescents à la maison), on peut entamer Le Capital, au moins le Livre I.
Car Marx explique ce qu’est la marchandise, le capital et l’élévation de sa composition organique (c’est-à-dire l’évolution du rapport entre capital variable, investi en salaires, et capital constant, avec une part grandissante pour ce dernier), la plus-value, le profit. Or, l’élévation de la composition organique du capital provoque fatalement la baisse du profit, même si la plus-value augmente (et c’est le cas continu). Ah, pour sûr, le capitalisme rêve d’un capitalisme sans salaire mais l’embêtant c’est que seul le travail humain, dont une partie (seulement) correspond aux salaires, produit des valeurs nouvelles (la plus-value). Malheureusement, pas le capital constant. Le rêve de pas de salaire du tout, le patronat du Reich l’a même réalisé, via ses sbires nazis, avec les camps d’extermination par le travail (mais on ne peut pas durablement tuer tous ses esclaves) : voilà la source de ce qu’Alain Bertho croit nouveau et décrit avec poésie (« Rêvant d’usines sans ouvrier, de caisses sans caissière », etc. « le capital voulait “quoi qu’il en coûte” se débarrasser des corps »). C’est poétique, mais ce n’est ni neuf ni explicatif.
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