Au sein de l’espace médiatique, les éditorialistes et animateurs distribuent la parole et contribuent ainsi à produire les standards de légitimité intellectuelle. Dans l’ensemble, l’opinion des chercheurs universitaires s’y trouve moins souvent sollicitée que celle des chroniqueurs et autres figures d’« experts » médiatiques [3]. De surcroît, les points de vue des uns et des autres tendent à être considérés comme équivalents, ce qui permet régulièrement auxdits chroniqueurs de balayer d’un revers de main les conclusions de travaux universitaires : ainsi lorsqu’un Éric Zemmour ou un Alain Finkielkraut sont jugés légitimes à désavouer le travail historiographique développé par une cohorte d’historiens de métier dans l’Histoire mondiale de la France dirigée par Patrick Boucheron, professeur au Collège de France – « une arme de gros calibre au service de l’historiquement correct » selon Zemmour ; « un bréviaire de la bienséance et de la soumission » d’après Finkielkraut [4]. Il n’en va pas autrement, d’ailleurs, dans le cas de la sociologie, puisque tout chroniqueur de télévision ou de radio s’estime manifestement autorisé à contester en plateau les conclusions empiriques des enquêtes menées depuis trente ans par les Pinçon-Charlot.
Cette remise à plat de la légitimité intellectuelle s’avère toutefois à géométrie variable : les titres et diplômes universitaires peuvent, en effet, avoir une certaine valeur, mais seulement dans le cas où leur porteur développe une thèse conforme à celle des tenants du pouvoir médiatique. L’entretien d’Éric Brunet et Claude Quétel, le 24 avril sur RMC, en donne une illustration. Charmé d’entendre un discours en tous points semblable à ses représentations contre-révolutionnaires de l’histoire, l’animateur n’a de cesse, au long de cet échange complaisant, de marteler les titres de son invité : ancien directeur de recherches au CNRS, ancien directeur scientifique du Mémorial de Caen, « un historien sérieux » (8’30), « un historien de première catégorie » (21’30) ! [...]
Les mêmes variations s’observent dans le rapport à l’opinion des auditeurs. Alors que la parole des intellectuels universitaires est souvent dépréciée comme une expression élitiste contraire au « bon sens » populaire, nous assistons à l’inverse, dans l’émission d’Éric Brunet, à la disqualification de la parole d’un auditeur, certes critique, face à celle de l’historien au statut validé par l’animateur. Un moment-clef de l’émission est en effet l’intervention d’un certain Daniel, de Voiron (Isère). Dès que celui-ci intervient pour dénoncer l’obsession de Quétel pour le « génocide » vendéen, les « morts » de la Révolution et la référence permanente à la « terreur », l’objection d’Éric Brunet ne se fait pas attendre : « Vous êtes historien, vous, Daniel ? » (22’10).
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Sur le plateau, Éric Brunet est donc le seul à autoriser la tenue d’un discours légitime sur le passé. Le fait est notable et d’autant plus dommageable que les rares figures historiennes conviées à « Radio Brunet » appartiennent dans leur écrasante majorité au sérail des « historiens de garde » [6].
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L'article intégral ici : https://www.acrimed.org/Un-enieme-proces-de-la-Revolution-francaise-par