Histoires d’actu. On y invoque le ras-le-bol de ces impôts que les riches ne paient pas, l’exaspération liée au pouvoir oppressant des puissants, le sentiment d’une justice de classe : c’est la Normandie de 1789, à travers ses cahiers de doléances. Morceaux choisis avec une plongée dans les archives normandes des germes de la fronde.
Olivier CASSIAU |
Il y a ceux qui mettent les formes, comme à Buchy. « À ce qu’il plaise à sa majesté étendre sa bienséance sur ses fidèles sujets pour l’encouragement et l’exploitation de leurs terres et herbages, le commerce de leurs denrées et bestiaux et par adoucissement des charges excessives qui leur sont imposées. »
Et ceux qui mettent les pieds dans le plat.
Comme aux Andelys : « Égalité proportionnelle de répartition de toute espèce d’impôt qui sera établi ou conservé soit ordonné entre tous les citoyens sans distinction d’ordre ni d’état. Qu’il soit demandé la suppression des vingtièmes, tailles, corvées, gabelles. » Car si aujourd’hui, les « gilets jaunes » revendiquent entre autres le rétablissement de l’ISF, bourgeois, employés et paysans demandent juste en 1789 que la noblesse et le clergé paient tout simplement des... impôts ! Une revendication que l’on trouve dans les villes, et dans les campagnes. Les habitants de Saâne-Saint-Just et ses quelques feux, comme on dit à l’époque pour évoquer les ménages, sollicitent « l’abolition de la gabelle (NDLR : taxe sur le sel) et de l’impôt sur le tabac. Quant à la corvée qui pèse sur les agriculteurs qui paient pour des travaux qui languissent ou sont mal faits. » Et certains de faire des propositions.
À Gournay-en-Bray, on propose « de préférer autant qu’il se pourra ceux (NDLR : les impôts) liés à la consommation d’autant qu’ils tiennent moins de l’arbitraire, qu’après tout il dépend du choix de consommer plus ou moins et que celui qui consomme est aussi censé être plus riche ou fait plus de profits. » Dans le nord de la Seine-Inférieure, on vient d’inventer sans le savoir une forme de TVA. Aujourd’hui chacun s’accorde pourtant à dire que c’est un impôt injuste. « La paroisse est surchargée dans la répartition de la taille (NDLR : impôt direct). Il serait bien que la répartition ne soit pas arbitraire et qu’elle soit dite dans chaque province et chaque baillage », assure-t-on dans la paroisse de Pavilly, « 330 à 340 feux », en mars 1789.
Alors certes, on ne demande alors ni la tête ni l’abdication du roi. Mais tout de même, on profite des cahiers de doléances pour dénoncer ce que le peuple considère comme des abus du pouvoir royal. Et de la noblesse.
À Vernon, on fait « doléance au Roy sur l’existence et l’entretien onéreux d’un trop grand nombre de demeures royales et les dépenses excessives qu’elles entraînent. Il faut que le Roy réforme l’économie de sa maison, de celle de la Reine, des princes ses enfants et des princes ses frères et autres princes et princesses » ; au Havre, on demande la suppression de toute place, emploi et office qui ne sont pas nécessaires. À Buchy, aussi on demande poliment au roi de « se faire rendre compte de l’emploi des deniers afin de diminuer les dépenses, les gratifications qui forment un poids qui pèse sur les habitants de la campagne. » Aux Andelys, que l’administration des forêts soit « plus régulière » et que « les ministres soient responsables de l’emploi des sous qui leur ont été confiés. » À Pont-Audemer, on veut connaître « les sources des abus de l’État, et là aussi, que les ministres soient comptables des deniers publics. » À Charleval, on pointe du doigt les richesses du clergé : « les maisons conventuelles sans aucune utilité doivent être supprimées et les fonds employés pour la pension du curé, l’augmentation des gages du vicaire, du maître et de la maîtresse d’école. » [...]
Quand les campagnes ont l’impression de payer pour les villes... À Saâne-Saint-Just, on veut « faire supporter les frais des grandes routes à ceux qui les dégradent » et l’on « réclame le secours du gouvernement afin qu’il fasse procurer au peuple les aliments nécessaires à la vie et arrêter le tumulte de la disette. » On préconise même des mesures radicales. « Pour faciliter l’abondance de blé, nécessaire à tous les citoyens, denrée qui leur est indispensable il sera défendu, sous peine de punition corporelle, d’exporter cette denrée hors du royaume, si ce n’est de province à province », propose-t-on à Buchy. À Gisors, c’est une régulation du prix du blé en cas de disette que l’on réclame. [...]
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La fin du XVIIIe siècle voit naître les premières mécanisations, et notamment celle de la filature. Les premières peurs aussi face aux prémices du capitalisme industriel. « Les mécaniques pour la filature de coton retirent les moyens nécessaires aux pauvres et aux artisans pour leur subsistance », assure-t-on dans la paroisse de Pavilly.
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Dans de nombreux cahiers de doléances, on retrouve des préoccupations plus politiques, mis en avant notamment dans les grandes villes. La liberté de la presse, sans censure, revient régulièrement. Même dans les cahiers de doléances des campagnes. [...]
Parmi les 188 000 tisserands de la région de Rouen, plus d’un tiers est au chômage et sans ressource. Le 14 juillet 1789, une foule de 300 à 400 personnes envahit une filature du faubourg Saint-Sever. Trente métiers à tisser mécaniques anglais sont brisés. Pendant ce temps-là, à Paris... [...]
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