Politologue (titulaire d’un doctorat du Centre de recherches politiques de Sciences Po) et enseignant à l’université de Bretagne occidentale (UBO), Thomas Guénolé fait partie de cette nouvelle génération d’intellectuels de gauche qui accepte de mener la bataille des idées directement dans les médias dominants pour faire contrepoids au discours néolibéral. En 2017, il a rejoint la France insoumise dont il codirige l’école de formation. Dans son dernier livre, « Antisocial : La guerre sociale est déclarée » (Plon, 2018), il déconstruit les “fake news” de la propagande antisociale pour combattre les fausses évidences, lutter contre la résignation et amener chacun à se mobiliser.
Thomas Guénolé : C’est la technique de la diabolisation. On n’argumente pas sur le fond : on se contente d’accoler à la cible des épithètes négatives, on s’accole à soi les épithètes positives antonymes, et l’on répète le tout en boucle. En l’occurrence, cela consiste à répéter que les protections sociales, les droits sociaux, les services publics, sont “archaïques”, “rigides”, ou encore qu’ils “nuisent à la compétitivité” ; tandis que les mesures qui cassent ces protections, ces droits et ces services publics, elles, symétriquement, sont réputées “modernes”, “flexibles” et “compétitives”. Cela permet de pratiquer en permanence le stratagème rhétorique du choix caricatural : soit vous êtes pour le projet politique de l’Antisocial ; soit vous êtes contre la modernité et la flexibilité, ce qui fait de vous un archaïque rigide. Sur le fond, cette argumentation est un tissu de mensonges. Par exemple, parler de “modernisation” de la SNCF alors que la réforme consiste à revenir au marché ferroviaire d’avant 1936, cela ne tient pas. Mais si l’argumentaire des partisans de l’Antisocial est faux, pourquoi est-ce devenu le discours dominant ? Pour cette raison simple et glaçante que la propagande, ça marche.
En 1968, le psychologue Robert Zajonc a conduit l’expérience suivante : il a exposé des cobayes à des mots ne signifiant rien dans aucune langue, en variant l’intensité de l’exposition. Le résultat était que plus les mots leur étaient matraqués, plus les cobayes développaient une opinion positive à leur endroit bien qu’ils n’aient aucun sens. Par ailleurs, la neurologie nous apprend que quand le cerveau humain se fait asséner en boucle qu’il doit penser ceci ou qu’il doit avoir envie de cela, notre libre-arbitre est protégé par le cortex préfrontal : mais cela signifie réciproquement que quand nous sommes peu concentrés, inattentifs ou fatigués, comme c’est le cas de millions de Français lorsqu’ils subissent le bruit de fond de la télévision ou de la radio, la propagande rentre facilement dans notre cerveau. C’est suivant ce mécanisme que, sous l’effet du matraquage propagandiste des mass medias ayant presque tous cette ligne politique, le catéchisme de l’Antisocial a pris valeur d’évidence pour le grand public. Ses partisans ne prennent donc même plus la peine d’argumenter sur le fond : ils se contentent de traiter leurs contradicteurs d’hérétiques via divers qualificatifs d’excommunication : “populiste”, “nationaliste”, “extrême”, par exemple. [...]
La suite ici :https://comptoir.org/2018/09/11/thomas-guenole-la-ligne-antisociale-gouverne-le-pays/