Le dernier livre de Jean-Pierre Chevènement, Un défi de civilisation[1], est une somme impressionnante, et qui pourtant se dévore presque dans l’instant. Ce livre passionne, interpelle, suscite de nombreuses questions et nourrit la réflexion. Cela n’est pas pour étonner. Nous avions sur ce carnet dit déjà tout le bien qu’il fallait penser du précédent ouvrage l’Europe sortie de l’Histoire ? que son auteur avait fait paraître en 2013[2].
Le présent livre combine donc la profondeur de vue que l’on accorde à Jean-Pierre Chevènement, l’érudition de certaines de ses réflexions et la pertinence du propos. S’y ajoute aussi une lecture rétrospective de sa propre histoire politique et du début des deux septennats de François Mitterrand. Aujourd’hui, alors que le parti créé par François Mitterrand, mais aussi par Jean-Pierre Chevènement, car l’apport tant intellectuel que matériel du CERES, le groupe de réflexion mais aussi groupe militant qu’il fonda dans les années 1960, fut loin d’être négligeable, est en ruine. Alors que tels des chiens apeurés se battant sur les décombres et parmi les cadavres d’une maison détruite on voit les membres du gouvernements et autres responsables « socialistes » se disputer les reliques restantes, ce livre prend aussi l’allure d’un bilan. D’un bilan, mais aussi d’un réquisitoire ; car Jean-Pierre Chevènement relie la catastrophe actuelle au tournant de 1983. Le défi de civilisation dont il parle c’est bien celui posé par le néolibéralisme dont il montre, qu’il s’agisse en économie, en politique, ou dans le domaine social, les désastres.
Sidération face aux désastres
Ce livre est organisé en quatre parties. La première se nomme « Sidération » et traite de la réaction de la société française aux attentats qui l’ont frappée, de janvier 2015 à juillet 2016. On ne peut que partager l’idée que ce qui fut alors en cause, et permet d’expliquer une bonne partie du phénomène de « radicalisation » n’est pas un défaut de la République mais un défaut de République. La confrontation des analyses sur le processus de « radicalisation », la synthèse qui en est faite, mais aussi la manière importante de replacer cette synthèse dans le contexte historique spécifique de la France constitue probablement l’un des principaux apports de ce livre.
Cet ouvrage fait aussi la critique du « multiculturalisme » et du rapport Thuot sur la « société inclusive » (p. 60). On ne contestera pas les arguments, que l’on partage. On relèvera, pour en souligner l’importance, la distinction qui y est opérée entre un passé « post-colonial » et un passé « post-impérial ». Un point important émerge alors, c’est le débat entre la notion d’intégration et d’assimilation. Jean-Pierre Chevènement a raison de rappeler certains faits, et en particulier que l’article du Code civil qui traite de la naturalisation, l’article 21-24, parle d’assimilation (p. 62). Mais, les mots ont pris dans le débat actuel un certain sens qui oblige à revenir sur ces notions. En fait, ce qui manque dans l’argumentaire de Chevènement, c’est une explicitation de la notion de culture politique. Cette culture politique doit bien être assimilée par l’arrivant pour qu’il puisse s’intégrer et être naturalisé. Mais cette assimilation n’est pas « l’assimilation » dont on se repait aujourd’hui dans le débat public ;
Ceci renvoie à un autre problème. Chevènement souligne, à très juste titre, le fait que la République est porteuse de principes universels. Mais, ces principes doivent (et peuvent) se décliner de manière différente suivant la spécificité des cultures. Au lieu d’opposer, comme il semble s’y résoudre la spécificité et l’universalité, il eut été plus sage de la présenter comme les deux pôles d’une contradiction qu’il convient de résoudre, mais qui peut aussi, dans son aspect dynamique, contribuer à faire avancer la société.
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Chevènement et le défi de civilisation
Le dernier livre de Jean-Pierre Chevènement, Un défi de civilisation[1], est une somme impressionnante, et qui pourtant se dévore presque dans l'instant. Ce livre passionne, interpelle, suscite ...
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