Le 11 mai 2016, Mediapart rapporte « Les "frondeurs" échouent à monter une motion de censure de gauche », alors que L'Express commente « La censure de droite au gouvernement, "seul outil" du Front de gauche ». Les élus du Front de Gauche affichent leur intention de voter pour la motion de censure déposée par Les Républicains et l'UDI. Ils entendent ainsi réagir au recours par François Hollande et Manuel Valls à l'article 49.3 de la Constitution. Mais un tel vote serait-il bien crédible sur le plan politique, au vu du contenu de ladite motion qui reproche au projet de loi de Myriam El Khomri d'être trop modéré en matière de casse du droit du travail ? En même temps, force est de constater que les mobilisations contre la loi El Khomri s'abstiennent toujours de dénoncer le rôle de la mondialisation du capitalisme en tant que mobile et moteur de cette loi. Pourquoi un tel silence récurrent, alors que le lien entre la loi El Khomri d'une part et la mondialisation et la politique de l'Union Européenne, de l'autre, est évident ? Etrangement, alors qu'aux Etats-Unis le bilan de la mondialisation du capitalisme devient un sujet de premier plan, avec notamment deux candidats opposés au libre échange (Bernie Sanders au Parti Démocrate et Donald Trump au Parti Républicain), le silence en France est général sur ce type de thématique. Les manifestations contre la loi El Khomri nous en fournissent une preuve flagrante. Comment comprendre une telle omission de la part des militants impliqués dans l'actuel mouvement de défense du droit du travail ? C'est un fait, que des organisations internationales comme l'OCDE ont explicitement réclamé une mesure telle que la loi El Khomri. Pourquoi ne pas dénoncer dans la clarté ces interventions ? Nos articles « Loi el Khomri : le débat que l'on étouffe » (I) et (II), et d'autres qui les ont précédé, ont déjà souligné l'étrange attitude des manifestants qui évitent ainsi, pour des raisons opaques et difficiles à comprendre, un débat politique essentiel. Quel est à présent le résultat de ces silences ?
Peut-on raisonnablement ignorer que la mondialisation du capitalisme opère la mise en concurrence de populations, salaires et standards sociaux à l'échelle planétaire ?
Fin janvier, Radio France Internationale (RFI) écrivait déjà A la Une: « Etats-Unis,Trump et Sanders les "frondeurs" », qualifiant Sanders et Trump de candidats antisystème. Et fin mars, RFI employait le titre « Donald Trump et Bernie Sanders, les deux candidats anti libre-échange ».
Le bilan de la mondialisation du capitalisme est devenu très lourd pour les Etats-Unis. Mais qu'en est-il en France, où les importations mettent en cause les producteurs nationaux et les délocalisations industrielles, financières et technologiques font depuis longtemps partie du quotidien ?
Précisément, dans un pays comme la France la casse de droit du travail a été programmée au nom de la « compétitivité ». Peut-on sérieusement prétendre que la mondialisation du capitalisme n'est pas le moteur de cette politique antisociale ?
Et pourquoi ce silence général dans les manifestations contre la loi El Khomri, et dans les textes associés (appels, analyses...) à propos de la mondialisation du capitalisme ?
La motion de censure déposée par Les Républicains et l'UDI est accessible sur le site de l'Assemblée Nationale. On peut y lire notamment http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/motion_cens... :
(...)
Suite à la pression d'organisations syndicales plus ou moins représentatives et d'une partie de sa majorité, dans un climat social tendu, ce projet de loi n'est plus que l'ombre de lui-même. La quasi-totalité des mesures positives ont été abandonnées ; ce projet de loi est aujourd'hui devenu, de renoncements en renoncements, un texte contraire aux intérêts de nos entreprises et des salariés.
Alors que ce texte était censé réformer en profondeur le code du travail, il se limite à une simple réécriture à droit constant.
Alors qu'il devait porter une flexisécurité à la française, les quelques mesures d'assouplissements de l'organisation du travail qu'il contenait ont été retirées avant même son dépôt.
Alors qu'il devait fluidifier les relations sociales au sein de l'entreprise, le monopole syndical en ressort verrouillé.
Alors qu'il devait sécuriser le licenciement économique, il se contente de le codifier.
A défaut de majorité, le Gouvernement, au pied du mur, fait donc le choix de piétiner les droits du Parlement.
Qu'il soit contraint d'engager sa responsabilité sur un projet de loi qui ne comporte plus aucune ambition de réforme témoigne de l'impasse dans laquelle François Hollande a mené notre pays à force de laisser-aller et d'immobilisme.
(...)
(fin de l'extrait)
Il s'agit donc d'une surenchère en matière de casse sociale par rapport à la politique de François Hollande et Manuel Valls. Les élus du Front de Gauche peuvent-ils raisonnablement voter par une telle motion ?
Quant au rôle de la mondialisation et des instances qui l'incarnent, on trouve sur le site de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) un texte intitulé « Objectif croissance 2016 : France », dont un extrait suit :
http://www.oecd.org/fr/france/objectifcroissance2016franc...
(...)
Recommandations antérieures formulées dans Objectif croissance :
- Réformer la protection de l'emploi et renforcer les politiques actives du marché du travail en introduisant davantage de flexibilité dans les contrats à durée indéterminée et en veillant à ce que chaque demandeur d’emploi puisse se voir proposer une offre de travail ou de formation dans un délai de quelques mois, et en évaluant et rationalisant les politiques actives du marché du travail.
- Déplacer la charge fiscale afin qu'elle pèse moins sur le travail, et élargir la base d’imposition, notamment en abaissant les contributions de sécurité sociale et en reportant parallèlement le financement des prestations qui bénéficient à l’ensemble de la société, par exemple les prestations familiales, sur des impôts ayant moins d’effets de distorsion (par exemple les taxes environnementales, la fiscalité immobilière et les droits de succession).
(...)
- Réduire les obstacles réglementaires à la concurrence en assouplissant les réglementations des services professionnels qui vont au-delà de la nécessaire protection des consommateurs, en facilitant la concurrence au niveau des prix dans le secteur du commerce de détail et en levant les obstacles à l’entrée sur les segments potentiellement concurrentiels des industries de réseaux.
- Améliorer la qualité de l'enseignement supérieur et l’accès à la formation professionnelle en autorisant les universités à relever les frais de scolarité, en proposant des prêts étudiants remboursables en fonction des revenus et en améliorant les possibilités de formation offertes aux personnes peu qualifiées.
(...)
(fin de l'extrait, @OCDE)
Il s'agit donc d'un rappel explicite de « recommandations antérieures », mettant en évidence que les pressions internationales réclamant pour la France une loi sur le travail comme la loi El Khomri ont clairement précédé l'élaboration de cette loi par l'actuel gouvernement. Même si, dès son élection, la politique de François Hollande était clairement orientée dans la même direction comme en témoigne la nomination d'Emmanuel Macron à l'Elysée en mai 2012.
Pour quelle raison les manifestants contre la loi El Khomri n'ont-ils pas dénoncé ce type d'interventions d'organisations internationales et, plus globalement, le rôle de la mondialisation du capitalisme ?